31 décembre 2007

Accueil - Calendrier liturgique


"Ce que la parole dit, l'image nous le montre silencieusement .... ce que nous avons entendu dire,
nous l'avons vu".

d'après les Pères du Septième Concile


Icône de la Trinité de Roublev



Ce site vous propose une catéchèse qui a la particularité d'associer à la Parole du Christ, une icône et une méditation.
Cette catéchèse par l'icône est l'oeuvre de L'Esprit Saint qui selon saint Cyrille d'Alexandrie : «...est le Docteur de l'Eglise... Il est la Forme des formes». Autrement dit, l'Esprit Saint est la saisie immédiate de la Beauté. C'est cette beauté comme révélation qui s'inscrit dans l'icône au sujet de laquelle les Pères du VII Concile Œcuménique (787) disent: «Ce que la Parole dit, l'icône nous le montre silencieusement... ce que nous avons entendu dire, nous l'avons vu». En tant que valeur propre, l'icône dépasse l'art. Dans l'icône, ce qui prime c'est le symbole dans le sens des Pères et de la tradition liturgique, à savoir que le symbole contient en lui la présence de ce qu'il symbolise. C'est cette présence qui distingue une icône d'un tableau.
L'icône se tient donc un peu à part, comme la Bible se place au-dessus de la littérature et de la poésie universelle. C'est cette théologie que nous tentons de développer sur ce site comme une démonstration de cet essai sur la théologie de la beauté.
"Annus est Christus" : l'année liturgique sera donc le fil d'ariane de cette catéchèse.
Bonne année à tous et que ce site puisse former le Christ en vous depuis sa naissance jusqu'à la stature de l'homme parfait....

L'entrée dans l'année liturgique
Parabole du festin nuptial (XIVième dimanche après la Pentecôte)
La Nativité de la Vierge Marie (8 septembre) Grande Fête
Entretien avec Nicodème
Le grand commandement (XVième dimanche après la Pentecôte)
Exaltation de la croix (14 septembre) Grande Fête
Parabole des talents - fête de la Protection de la Mère de Dieu
La femme cananéenne (17e dimanche)
Dimanche des Saints Pères (11 octobre)
Aimez vos ennemis (19e dimanche)

Le temps de l'Avent

Résurrection de la fille de Jaïre ( 24e dimanche)
Le bon Samaritain ( 25e dimanche)
Ne pas thésauriser ( 26e dimanche)


Le temps de Noël et de l'Epiphanie


Le temps du Carême : Le Grand Carême
Dimanche du Fils Prodigue
Dimanche du Jugement dernier (Carnaval ou dernier jour de viande)
Dimanche du Pardon (Tyrophagie ou dernier jour des laitages)
Annonciation de Marie (25 mars) Grande Fête
Temps de la Passion
La Résurrection de Lazare (sam av Dim Rameaux)
Entrée à Jérusalem (Dimanche des Rameaux) Grande Fête

Le temps de Pâques et de la Pentecôte

La Résurrection (Pâques) Grande Fête
Dimanche de Thomas
Dimanche de l'Aveugle de naissance
L'Ascension (40 jours après Pâques) Grande Fête
Dimanche des Saints Pères du Premier Concile Oecuménique
Meso-Pentecôte (Jésus, à 12 ans, instruit les prêtres juifs au temple)


Le temps après la Pentecôte

La descente du Saint Esprit (Pentecôte, 50 jours après Pâques) Grande Fête
Dimanche de tous les Saints (Ier dimanche après la Pentecôte)
Laissant leur barque et leur père (IIième dimanche après la Pentecôte)
L’œil lampe du corps (IIIième dimanche après la Pentecôte)
Guérison du serviteur du centenier (IVième dimanche après la Pentecôte)
St Apôtres Pierre et Paul
Le démoniaque gérasénien (Vième dimanche après la Pentecôte)
Guérison d’un paralytique (VIième dimanche après la Pentecôte)
Guérison des deux aveugles ( VIIième dimanche après la Pentecôte)
Dimanche de Ste Marie-Magdeleine (VIIIième dimanche après la Pentecôte)
Marche de Jésus et Pierre sur l'eau (IXième dimanche après la Pentecôte)
Délivrance de l'épileptique (Xième dimanche après la Pentecôte)
La Transfiguration (6 août) Grande Fête
Parabole du débiteur impitoyable (XIième dimanche après la Pentecôte)
La Dormition de la Sainte Vierge (15 août) Les Grandes Fêtes
Le jeune homme riche (XIIième dimanche après la Pentecôte)
Parabole des vignerons homicides (XIIIième dimanche après la Pentecôte)


Nous vous recommandons également ces liens :
Les icônes dans la tradition orthodoxe de Maria Lavie
L'art de l'icône (théologie de la beauté) de Paul Evdokimov
Les homélies du père Alphonse Goettmann en format audio
Les homélies de St Jean Chrysostome
Saints et Fêtes
Icônes et iconostases
Laissez travailler les icônes ! - elles mènent à la foi


L'année liturgique orthodoxe commence le 1er septembre, huit jours avant la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu (8 sept) et se termine 15 jours après la dormition de Marie (15 août). Les 12 grandes fêtes orthodoxes (en rouge) "encadrent" la Fête de Pâques (en violet), qui ne fait pas partie des Douze, mais qui est la Fête des Fêtes. Concernant les fêtes à date fixe, les dates indiquées sont valables pour les Églises grecque, roumaine et bulgare qui suivent le calendrier civil (grégorien). Pour les Églises russe et serbe qui suivent le calendrier julien, c'est 13 jours plus tard. Concernant les fêtes à date mobiles (Rameaux, Pâque, Ascension, Pentecôte), les Églises grecque, roumaine et bulgare suivent le calendrier julien.

Outre le cycle des fêtes, l'année liturgique orthodoxe comprend également le cycle des fêtes des saints car c'est la Passion qui se trouve revivre dans la mémoire des martyrs. L'année liturgique n'a donc qu'un seul et même objet : Jésus Christ soit que nous le considérions en lui-même, soit que nous le considérions dans ses membres.

03 décembre 2007

Guérison le jour du sabbat


St Luc XIII, 10-17



10 Jésus enseignait dans une des synagogues, le jour du sabbat.
11 Et voici, il y avait là une femme possédée d'un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans; elle était courbée, et ne pouvait pas du tout se redresser.
12 Lorsqu'il la vit, Jésus lui adressa la parole, et lui dit: Femme, tu es délivrée de ton infirmité.
13 Et il lui imposa les mains. A l'instant elle se redressa, et glorifia Dieu.
14 Mais le chef de la synagogue, indigné de ce que Jésus avait opéré cette guérison un jour de sabbat, dit à la foule: Il y a six jours pour travailler; venez donc vous faire guérir ces jours-là, et non pas le jour du sabbat.
15 Hypocrites! lui répondit le Seigneur, est-ce que chacun de vous, le jour du sabbat, ne détache pas de la crèche son boeuf ou son âne, pour le mener boire?
16 Et cette femme, qui est une fille d'Abraham, et que Satan tenait liée depuis dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de cette chaîne le jour du sabbat?
17 Tandis qu'il parlait ainsi, tous ses adversaires étaient confus, et la foule se réjouissait de toutes les choses glorieuses qu'il faisait.





Méditation d'un moine orthodoxe de l'Eglise d'occident


Chers frères et sœurs !


« L’âme comblée d’afflictions, celui qui chemine courbé et sans force, l’âme affamée ; voilà ce qui te rend gloire et justice Seigneur ! » (Ba II, 18) peut-on lire dans le livre de Baruch ; ces paroles illustrent parfaitement ce que nous venons d’entendre dans l’Evangile d’aujourd’hui ; à savoir ce récit de la guérison de la femme courbée.


Cette femme souffrait d’une infirmité depuis dix-huit ans ; et comme il ne nous est pas précisé qu’elle était âgée, on peut supposer qu’elle avait sans doute passé la majeure partie de sa vie dans cet état ; ne pouvant jouir d’une mobilité normale qui lui aurait permis de vivre pleinement; mais en regardant plus attentivement le texte il nous est dit que c’était un « esprit d’infirmité » qui faisait que cette femme était courbée.

Oui ; un esprit d’infirmité… comme si ; outre le côté « physique » de sa personne ; c’était la dimension « vertébrale » de son être spirituel qui était atteinte. Et quand le spirituel est abattu nous savons bien que toute notre vie (pour parler un peu familièrement) « en prend un coup » ; ainsi que nous interroge le livre des Proverbes : « L’esprit de l’homme supporte les maladies ; mais l’esprit abattu qui pourra le relever ? » (Pr XVIII, 14)

D’où la valeur symbolique du miracle de la guérison de cette femme et de son importance pour notre vie spirituelle:
En guérissant cette femme le Christ annonce le relèvement de l’humanité qu’Il vient opérer.

C’est sans nul doute pourquoi Il a pris l’initiative de cette guérison : c’est Lui qui appelle la femme courbée ; cette fille d’Eve; et Il l’appelle en lui donnant son beau titre de « femme » ; ce titre qui représente et englobe à lui seul tous les descendants de « la Mère des vivants ».
Il impose les mains à la femme courbée et comme rien ne résiste à la puissance divine, Il la guérit en nommant sa guérison « délivrance ».



Ainsi nous avons à retenir de cette guérison que dans notre cheminement spirituel, nous avons à nous tenir debout.
Ou plus exactement devrions-nous dire que c’est debout que Dieu nous veut ; c’est debout que nous devons en esprit nous adresser à Lui dans notre prière personnelle ; debout, dans un face-à-face d’égalité puisqu’Il nous a créés à « Son image et à Sa ressemblance », ce qu’exprime si bien ce célèbre aphorisme de Saint Athanase d’Alexandrie : « Dieu s’est fait Homme pour que l’homme devienne Dieu ».

Oui ; chers frères et sœurs ; Dieu a besoin de priants « en esprit et en vérité » (Jn IV, 23) comme le Christ le disait à la samaritaine (cette autre femme de l’Evangile) et c’est pour cela que nous avons à nous tenir devant Lui de toute notre stature spirituelle.
Dieu n’a pas besoin de nous en tant que personnes renfrognées, déprimées, avachies ou rabougries ; non ! Au risque de nous répéter ; Il nous veut debout, et c’est tout le sens de la résurrection du Christ :
Il descend à chaque instant dans les profondeurs de notre enfer pour nous relever ; pourvu que nous soyons coopérants et que nous nous laissions faire !


Bien sûr nous aurons souvent l’occasion de cheminer dans les ténèbres, dans la détresse, dans les épreuves physiques, psychiques ou spirituelles ; voire même dans le péché… mais quand bien même cela nous arrive ou nous arrivera, soyons dynamisés par le fait que le Seigneur nous attend au tournant ! Plus nous aurons en nous le désir de nous tenir debout face à Lui, plus Il s’abaissera jusqu’à nous pour nous relever.
Avec ce «cœur broyé et humilié» qui est évoqué dans le psaume 50, nous expérimenterons alors Sa miséricorde :
L’enfer ne sera plus pour nous une destination mais un passage, puisque la vocation de toute personne ; c'est-à-dire d’êtres créés « à l’image et à la ressemblance de Dieu » ; n’est pas de demeurer dans l’enfer de la souffrance, mais de librement accepter d’y séjourner temporairement pour atteindre notre but final qui n’est rien d’autre que l’Union à Dieu, dans Son Royaume, par la Résurrection du Christ.


N’oublions pas que dans son humilité la femme courbée n’a rien demandé, elle ne s’est exprimée que pour glorifier Dieu une fois guérie ; jusque là elle ne s’était pas révoltée, elle avait accepté sa condition, ce qui ne l’a pas empêchée de se tenir devant le Christ ; tout simplement.


Et comme l’Esprit-Saint « fait toute chose parfaite » ; l’occurrence de la mémoire du Saint Prophète Habacuc que nous célébrons aujourd’hui tombe à pic avec l’Evangile de ce jour ! En effet ce prophète ne s’y est pas trompé quand il écrit: « Je vais rester debout pour voir ce qu’Il répondra à ma prière » (Ha II, 1) et plus loin dans son livre « Tes yeux, Seigneur, sont trop purs pour voir le mal » (Ha I, 11).
Oui ; les yeux du Seigneur sont « trop purs pour voir le mal » ; c’est pour cela qu’Il n’a de cesse de venir nous pardonner ; Lui qui n’a pas voulu la souffrance ; Lui qui aime chaque être humain comme Son unique !


Amen !

02 décembre 2007

Théologie de la beauté


POUR UN ESSAI DE LA THEOLOGIE DE LA BEAUTE



Cet essai présenté par Mgr Stephanos est la synthèse d'extraits de livres.
(Cf. bibliographie en fin de texte)


Existe-t-il encore pour l'homme de notre temps une forme objective, définissable de
la beauté; a-t-elle encore un sens dans le monde actuel? Tant il est vrai que cette notion a tellement été étirée dans tous les sens, qu'on peut se demander si elle a encore une signification précise.
Il semblerait en effet que surtout deux causes ont gravement mis en question le monde moderne: l'esprit pratique d'une part; l'esprit critique de l'autre. Je m'explique :



L'esprit pratique d'abord !



Notre temps s'oriente principalement vers l'action, d'où l'expression esprit pratique.
Notre société est fondamentalement une société de rendement. Et le rendement ne s'obtient que par l'étude du fonctionnement de la nature ou par la création de fonctionnements rationnels. Cela exige par conséquent une analyse des éléments pour savoir comment s'agencent les choses. Le regard analytique s'oppose nécessairement au regard esthétique. Il sépare alors que pour sa part la contemplation, qu'elle soit d'ordre esthétique ou mystique, est à l'opposé un regard de synthèse. La conséquence : nous savons décomposer mais nous ne savons plus embrasser ni visuellement ni affectivement. L'utile tue le beau ; se servir d'une chose, c'est cesser de la contempler. Pour pouvoir admirer, pénétrer dans la profondeur esthétique de l'objet, il faut ne plus avoir prise sur lui. Or la beauté, en profondeur, ne peut être qu'un mouvement d'amour né de la gratuité alors que l'esprit utilitaire est au contraire le ressort de la puissance du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.

Déjà Rimbaud, dans sa «Saison en enfer» appelait son siècle « un siècle de mains». Nous vivons nous aussi dans un siècle de mains, nous maîtrisons de plus en plus. Nous agissons de plus en plus. Où trouverions-nous du temps pour la contemplation?

L'esprit critique ensuite.

Par définition, il exige une froide lucidité pour percer au-delà des apparences et tenter de prendre totalement conscience de la vérité. Le projet est en soi admirable mais est-ce que la recherche du vrai ne tue pas finalement le sentiment du beau en ce sens que la beauté, aux yeux d'un homme qui se veut lucide, risque de passer pour un mensonge, une tromperie ? La beauté apparaît alors comme une sorte d'insolence. Car pour accepter la beauté, il faudrait d'abord accepter la vie. Or la situation est telle aujourd'hui que nous ne pouvons plus consentir à la vie. Parce que nous avons perdu l'innocence, nous avons plutôt tendance à déprécier le point-de-vue esthétique. Un artiste qui, maintenant, mettrait dans son œuvre de la beauté au sens traditionnel, serait vite mal vu ou dérisoire.


Si tel est le cas, alors c'est toute la condition humaine qui entre en jeu puisque le sentiment du beau est intimement lié au sentiment d'un ordre profond de l'univers. Le vrai n'a de splendeur que s'il rencontre et révèle cet ordre fondamental. L'art antique complétait la joie d'une philosophie heureuse qui ressentait la plénitude de l'être, l'équilibre merveilleux de la raison cosmique. L'art médiéval complétait la contemplation heureuse des mystiques. L'art classique complétait un rationalisme triomphant ou confiant dans ses destinées. L'art actuel témoigne au contraire de la vérité d'un désordre et, en présence de ce désordre essentiel, toute tentative d'harmonie semble devenir fausseté.

Pourtant le sentiment et le besoin du beau subsistent en nous toujours aussi vifs et ce qui paraît négatif peut un jour déboucher sur des thèses positives, qui seront autant d'appels à rétablir le lien profond entre les êtres et les choses. Cela est possible parce qu'il existera toujours des artistes capables de découvrir la potentialité de beauté cachée dans les choses qui auparavant paraissaient laides ou vulgaires. Et c'est ainsi que nous nous approchons étrangement des frontières mêmes du sacré, du transcendant.
C'est «par sa nature que l'homme désire le beau» enseigne saint Basile, car il porte en lui un «logos (une parole) poétique cachée» qui le rend contemplatif et saint Maxime le Confesseur ajoute: qui le rend sensible « à l'éclat fulgurant de la Beauté divine au-dedans de toutes choses ».

Cette soif du beau n'est nullement un privilège des artistes ; elle est ontologique, inhérente à tous au point que «dans sa ressemblance, l'homme manifeste la Beauté divine », dit saint Grégoire de Nysse. Nous savons qu'il existe dans l'Eglise Orthodoxe un célèbre recueil ascétique qui s'appelle la Philocalie, nom qui signifie «l'amour du Beau », car tout être enseigné par Dieu n'est pas seulement bon, ce qui va de soi, mais il est essentiellement beau en tant qu'icône vivante de Dieu. « Les martyrs, dit Nicolas Cabasilas, consumés par le charbon ardent du Saint-Esprit, surent aimer par-dessus tout la Souveraine Beauté ». Et saint Syméon le Nouveau Théologien, «blessé par le Seigneur d'amour et de désir, cherchait par l'espérance la Beauté spirituelle ». Ce que les icônes cherchent à nous faire voir, ce sont les ineffables éclairs de la Beauté divine. Et Karl Barth, dans sa Dogmatique énonce une affirmation très orthodoxe : «Si on nie la Trinité, on a un Dieu sans beauté ».

Et quand le Seigneur dit: « Voyez les oiseaux, observez les lis des champs» dont la beauté naturelle dépasse toute la splendeur décorative d'un «Salomon », il veut dire que la beauté d'une simple fleur est le surgissement de l'intériorité qu'on ne peut ni peser ni chiffrer et qui est justement vie et lumière. Mais pour saisir la profondeur mystérieuse d'une simple fleur, il faut y saisir la poésie créatrice de Dieu et y croire. Parce que la contemplation n'est pas esthétique mais théologale. Elle requiert la perception selon les Pères grecs de « l'œil de la foi », qui n'a rien à voir ni avec l'œil tout court, curieux des choses utilitaires ni avec une foi abstraite et aveugle, étrangère au monde réel des hommes. Lors de la Transfiguration du Seigneur, enseigne Palamas, les disciples «passèrent de la chair à l'Esprit ». En fait, « c'était, écrit Paul Evdokimov, la transfiguration non pas du Seigneur mais de l'œil des apôtres parce que celui qui participe à la lumière devient lui-même lumière ». «L'homme tout entier doit devenir œil» affirme saint Macaire. La lumière est l'objet de la vision, elle est aussi l'organe de la vision. Et c'est pourquoi il est écrit dans l'Evangile: « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est Esprit ». Le jour de la Pentecôte, les Apôtres, parlant de la magnificence de Dieu, donnaient à penser aux gens qui les écoutaient qu'ils étaient ivres. Ivres, certes ils l'étaient. Non pas de vin mais de Beauté! Je me plais ici à reprendre les Pères lorsqu'ils disent que «Dieu a voulu manifester sa Beauté et il a créé la matière ». Le texte grec de la Genèse, à la fin de chaque mouvement de la création en six jours (Hexaméron), répète chaque fois que Dieu «vit que c'était beau ». Selon ce même récit biblique, au commencement : « Il y eut un soir et il y eut un matin, ce fut le jour ». L'Hexaméron ne connaît pas la nuit. Ce sont le matin et le soir qui marquent la succession des évènements et ne forment que le jour, dimension de la lumière pure.
La nuit, si l'on se réfère au sens que lui donne l'évangéliste Jean, n'apparaît qu'au moment de la chute : Adam et Eve vont fuir la lumière et le regard de Dieu et vont chercher l'obscurité et l'ombre pour se cacher. Et Judas, qui ne peut plus demeurer dans la chambre haute inondée de lumière, « sort précipitamment et il faisait nuit », précise Jean l'Evangéliste. Plus encore. Le premier jour de la création, notent les Pères, n'est pas protOn (premier) mais mia (un). Genèse 1,5 : «et il fut le soir et il fut le matin, jour un ». En d'autres termes ce jour n'est pas le premier, comme ont tendance à le définir les diverses traductions, mais un, unique, hors série. Il est l'alpha, le germe qui porte en lui et appelle son oméga, le huitième jour de l'accord final, le Royaume. C'est pourquoi, saint Maxime le Confesseur précisera que « le nom du Royaume signifie la parfaite Beauté ». Ainsi, à la première parole de la Bible «Que la Lumière soit!» répond la dernière: « Que la Beauté soit! ».

Explicitons cela un peu plus. Le monde voulu par Dieu a été tissé comme un vêtement lumineux de l'homme. Tous les «jours» de la création entourent Adam comme autant de beautés. Dernier-né de la création, Adam est l'avenir du monde. Le monde sera ce qu'enfantera l'homme. Ainsi, l'homme est vraiment à l'image de Dieu. Pour la tradition la plus ancienne - la tradition hébraïque relayée par la tradition orthodoxe - le premier Adam, l'Adam « qadmon », l'homme antérieur, était un corps de lumière qui récapitulait les « six jours» de la création et devait rendre au Créateur la libre réponse de l'amour en se laissant aspirer par la lumière incréée de Dieu, dans un mouvement d'ascension à même le septième jour. L'homme devait y enfanter le huitième jour: la transfiguration du premier.





Mais il y eut la chute d'Adam et d'Eve et la souillure de l'image dans le monde rend la beauté ambiguë. Si la Vérité est toujours belle, toute beauté n'est pas toujours vraie. Le récit biblique de la première tentation se réfère à la chute des anges. Isaïe et Ezéchiel disent à propos de Lucifer : « comment es-tu tombé du ciel, toi qui te levais au matin plein de beauté?» (Is. 14,12) «tu t'es enorgueilli de ta beauté, tu as laissé ta splendeur corrompre ta sagesse» (Ez. 28,17). La beauté est devenue pierre d'achoppement: au moment de l'épreuve la femme vit que le fruit était «bon à manger, séduisant à voir, désirable» (Ge. 3,6) ; sa convoitise place l'esprit humain au-dessus du Bien et du Mal. Autrement dit : le vrai, le beau et le bon se séparent, la beauté n'est plus, comme disaient les Anciens, l'éclat du vrai. L'art humain, dans le mépris de l'être et de la personne peut déchaîner les images les plus cannibales.

Le beau devient alors une valeur autonome, dans une culture morcelée, cloisonnée, une valeur extérieure à la relation personnelle qui unissait à Dieu le premier couple et unissait entre eux l'homme et la femme. L'attrait esthétique exerce finalement ses chances et convertit à un culte idolâtre. Dédoublée, la beauté vue sous cet angle fait périr et fascine ; ambiguë et se séduisant elle-même d'une manière narcissique, elle a besoin d'être sauvée et protégée. La beauté désormais est une énigme, car observe Dostoïevski, elle peut être en même temps celle de la Madone et celle de Sodome. Apparaît dès lors dans le monde une force d'opposition, de négation, de destruction - c'est justement le sens du mot diabolos en grec - la création est comme vampirisée par un réseau de pensées idolâtriques : c'est ce monde pour employer le langage du Nouveau Testament qui nous permet de distinguer ce monde réseau d'illusions et d'hypnoses du monde comme création de Dieu : ce monde dont nous sommes à la fois des auteurs et les victimes.

Mais l'amour divin qui a créé le monde vient jusqu'au plus profond de l'enfer pour vaincre. En Christ, Nouvel Adam, l'homme retrouve une vie plus forte que la mort et la possibilité de la communiquer au cosmos ou plutôt de la déceler et de la libérer en lui. L'incarnation du Christ remet en mouvement l'immense circulation de la gloire ; le Christ s'est transfiguré sur le Mont Thabor et il a fait resplendir la beauté originelle et déjà ultime. Il a ainsi revivifié «le visage commun de l'humanité» dit saint Cyrille d'Alexandrie (sur Jean 1,14). Mais cette lumière, pour être vraiment la lumière ultime, pour assumer vraiment toute la souffrance et tout le désespoir des hommes, devait jaillir non seulement au sommet de la montagne, dans l'évidence de la splendeur mais aussi dans l'abîme de la mort, de l'enfer, du néant substantialisé par notre liberté pervertie.

Après le Thabor viennent donc Gethsémani et le Golgotha. Le Serviteur souffrant «n'a plus ni éclat ni beauté pour attirer nos regards, ni apparence pour séduire», dit Isaïe (Is. 53,2). Le visage du Dieu incarné n'est plus qu'un visage d'esclave, aprosopos, c'est-à-dire «celui qu'on ne voit pas». Alors apparaît à travers la mort du Christ sur la Croix une beauté qui n'est plus esthétique au sens culturel, qui n'est plus ambiguë mais qui s'identifie à l'amour. Désormais à travers le visage le plus dégradé, on peut pressentir la possibilité d'une autre beauté, inaliénable, « celle de l'homme caché au fond du cœur», dit l'apôtre Pierre (1 P 3,4). Dostoïevski, dans une de ses lettres, écrit: «Il n'y a pas et il ne peut y avoir rien de plus beau que le Christ ». Cette beauté libère notre liberté. Et l'écrivain d'ajouter encore: « l'homme désormais n'a plus pour se guider que cet idéal éternel de beauté» puisque le Verbe de Dieu, qui est désormais le Christ ressuscité, ... « ayant rétabli l'image souillée dans son antique dignité, l'unit à la Beauté divine» (Kondakion du dimanche de l'Orthodoxie).








On comprend maintenant la parole de saint Basile: «Les saints priaient pour que la contemplation de la Beauté divine s'étende sur l'éternité». Ils ressentaient la soif que chante le psaume 27,4 : « La chose qu'à Yahvé je demande, la chose que je cherche, c'est d'habiter le Royaume de Yahvé, de contempler la Beauté de Yahvé tous les jours de ma vie »... Denis
l'Aréopagite chante la grandeur de la création divine où Dieu met quelque chose de Lui-même, rend l'homme conforme, «ressemblant à Lui» et en fait un être contemplatif: «l'homme, dit-il, est créé selon l'Archétype divin qui nous accorde de participer à sa propre Beauté ».


Les Pères d'Orient cultivent cette vision et amorcent leur théologie de la Beauté. Saint Gregoire Palamas fait la synthèse: « La parfaite Beauté vient d'en-haut et se pose en unique origine d'une théologie sûre». Définition, écrit Paul Evdokimov, bien surprenante avant tout pour les théologiens eux-mêmes. Elle se réfère à la parole de saint Cyrille d'Alexandrie : «L'Esprit Saint est le Docteur de l'Eglise... Il est la Forme des formes». Autrement dit, l'Esprit Saint est la saisie immédiate de la Beauté. Aussi, l'apôtre Paul n'hésite pas à écrire : « Vous avez été scellés du Saint-Esprit... et Dieu s'est acquis ces êtres scellés pour la louange de sa gloire (Eph.l,14)). Sur le cœur pacifié de l'homme scellé du Saint-Esprit s'imprime la vérité des êtres et des choses dans leur ultime beauté. Un être humain a déjà traversé définitivement la porte de la beauté pour passer tout entier, âme et corps, dans la lumière de la vie, c'est la Mère de Dieu. Denis l'Aréopagite dit d'elle qu'elle est la Beauté salvatrice : «Je désire, lui dit-il en s'adressant à elle, que ton icône se réfléchisse sans cesse dans le miroir des âmes et les conserve pures jusqu'à la fin des siècles; qu'elle relève ceux qui sont courbés vers la terre et qu'elle donne l'espoir à ceux qui admirent et imitent cet éternel modèle de Beauté».
C'est qu'en Marie, non seulement se résout la tragédie de la liberté humaine mais s'exprime pleinement la transparence des choses que masque le péché. Saint Grégoire Palamas disait qu'elle synthétise toutes les beautés de la création (in Dormitionem).


C'est cette beauté comme révélation qui s'inscrit dans l'icône au sujet de laquelle les Pères du VIIConcile Œcuménique (787) disent: «Ce que la Parole dit, l'icône nous le montre silencieusement... ce que nous avons entendu dire, nous l'avons vu». En tant que valeur propre, l'icône dépasse l'art. Dans l'icône, ce qui prime c'est le symbole dans le sens des Pères et de la tradition liturgique, à savoir que le symbole contient en lui la présence de ce qu'il symbolise. C'est cette présence qui distingue une icône d'un tableau. L'icône se tient donc un peu à part, comme la Bible se place au-dessus de la littérature et de la poésie universelle. L'art tout
court sera toujours formellement plus parfait que l'art des iconographes car ce dernier, justement, ne cherche pas cette perfection. Son excès même nuirait à l'icône, risquerait de décentrer le regard de la vision du mystère, comme une poésie excessive et recherchée nuirait à la puissance de la parole biblique. Le contenu de l'icône prime sur sa forme et la subordonne à son symbolisme. L'icône est avant tout une «image épiphanique», autrement dit une image qui manifeste, qui révèle une réalité: à travers le visible contemplé, l'Invisible Beauté vient vers nous et nous accueille dans sa Présence. J'ajoute encore: si la Parole se fait entendre, elle se fait voir aussi. A un certain niveau, la parole humaine s'arrête, impuissante: seule l'image, seule l'icône peut la prolonger et faire voir l'ineffable. Déjà, dans l'Ancien Testament, dès qu'il s'agit de textes messianiques, « Ecoute Israël» laisse place au «Lève tes yeux et vois». Moïse et Elie entourent le Christ transfiguré sur le Mont Thabor en tant que «grands voyants». Rappelons ici encore une fois ce que l'Évangile nous dit si bien: « ce qui est né de la chair est chair; ce qui est né de l'Esprit est Esprit».

Ainsi, la Parole écoutée est contenue dans la Bible; construite, elle parle à travers les formes symboliques du temple; chantée et représentée sur la scène sacrée du culte, elle célèbre la liturgie ; dessinée, elle s'offre en contemplation, « en théologie visuelle» sous la forme de l'icône. En fait, « ce que le Livre nous dit, l'icône nous le rend présent» (Concile de 680). Cette présence n'est pas localisée mais rayonne énergétiquement en partant de l'icône. Le lieu de la présence n'est pas la planche de bois mais la mystérieuse ressemblance hypostatique qu'offre toute icône.
Avant l'Incarnation du Christ, par la crainte de l'idolâtrie, toute représentation du céleste était limitée au monde, des anges. Après son Incarnation, le Christ délivre les hommes de l'idolâtrie non pas négativement, en supprimant toute image, mais positivement, en révélant la vraie figure de Dieu: « l'humanité du Christ est l'icône de sa divinité»; l'humain reçoit sa fonction iconographique: image visible de l'invisible et lieu de sa présence.

« Nous contemplons, disent les Pères du VIIConcile Œcuménique, à la fois l'invisible et le représenté» , non pas l'un ou l'autre mais l'un dans l'autre. Le miracle de l'icône est hors de tout art portraitiste; il se situe dans la ressemblance hypostatique. Saint Athanase le Sinaïte précise ce n'est pas la nature qui voit la nature, mais la personne qui contemple la Personne. Les Pères avertissent adorer une icône, c'est la détruire, rendre sa présence absente. Le Vile Concile déclare «Malheur à qui adorerait les images» ! On peut ainsi mieux comprendre que ce n'est pas en tant qu'œuvre d'art qu'une icône est belle. Sa beauté est dans la ressemblance avec la Vérité qu'Elle rend présente. « Image conductrice», l'icône guide le regard au-delà d'elle-même. Ainsi par exemple, l'icône bien connue de la Trinité de Roublov traduit l'éclat trisolaire qui inonde de clarté et illumine le monde.


Un dernier mot. La contemplation de la Transfiguration du Seigneur apprend à tout iconographe qu'il peint avant tout avec la lumière thaborique et non avec les seules couleurs de ce monde, tant il est vrai que l'icône fait voir l'homo cordis absconditus, la beauté de «l'homme caché du cœur» dont parle saint Pierre (IP 3,4). Tant il est vrai que ce sont les choses invisibles qui révèlent à leur profondeur les choses visibles, dans une pensée spirituelle, une pensée animée par l'Esprit Saint.











Comment conclure?


Pour la théologie orthodoxe, la beauté est une personne, le Christ. La beauté est donc un nom divin. Mais elle a une histoire, liée à celle de l'homme. La première beauté est paradisiaque, que chaque chose en cette création reflète, remontée de gloire vers le Créateur. Mais l'homme a rompu le circuit de cette gloire et la lumière ne semble plus venir de l'intérieur des choses et de nous­mêmes; elle nous apparaît trouée de nuit, et quelquefois trouant la nuit... Alors, la beauté créée par l'homme devient souvent déviation de la vie de Dieu, seconde beauté. Il est une troisième beauté, celle de la Croix, Croix de sang et de lumière. Une telle beauté pacifie et libère de la mort. L'art qui cherche cette beauté est un art philocalique. «La vision philo cali que, écrit un grand théologien et penseur orthodoxe contemporain, brise l'esthétique chamelle et psychologique, séparée et séparatrice puisqu'elle met à part un domaine de la beauté. L'œil du cœur pacifié, purifié, découvre que tout est beau en Christ, que la croix nous ouvre l'ultime beauté, que la beauté du monde refleurit, telle une rose sur la croix, à partir de la mort sacrificielle, vivifiante du Dieu fait homme. Par la beauté, nous entrons dans notre véritable demeure. Certes, la porte ne fait que s'ouvrir par instants, et nous ne pouvons demeurer. Mais comme la beauté est une personne, comme le Christ est la beauté en personne, nous savons que Lui demeure plus profond que notre aveuglement, notre laideur, notre manque à la génialité de l'Esprit» (Olivier Clément, in Les Visionnaires, p.260).



C'est sans doute là un des leviers les plus puissants du christianisme aujourd'hui: l'affirmation que l'être du monde est beauté. Le christianisme a pour mission de révéler et de donner à révéler cela, à savoir que le Dieu de la Bible n'est pas un Dieu utile, consommable mais un Dieu gratuit et par là source de salut ; un Dieu qui nous restitue le sens de l'existence comme célébration, comme fête puisque dans l'enfer, en Christ, l'amour divin est descendu, rendant ensuite possibles toutes les synthèses, tous les dépassements par la puissance de la résurrection. Nous avons trop tendance en Occident à représenter Dieu comme un vieil homme, isolé, visage abstrait et idolâtre de notre imaginaire. Nous avons par trop souvent mis à mal sa transcendance par l'invasion de l'immanence, immanence athée ou gnostique, immanence de l'histoire ou du soi intérieur cultivé dans lesdites nouvelles spiritualités. Mais si Dieu est le Tout-Autre, il n'est pas opposé ni indifférent : il y a altérité et non pas contradiction. L'Occident a glissé sur l'image de Dieu : il a cherché à le représenter tel qu'il s'est rendu accessible, en Christ, mais un Christ trop réduit au Verbe, à la Parole. L'Occident a transformé Dieu en visage abstrait, en concept, au lieu de le garder comme nom, comme le Nom. Il faut qu'il se figure à nouveau Dieu, Lui redonne son visage. Particulièrement en Europe occidentale, l'engouement fulgurant des deux dernières décennies pour les icônes témoigne de ce besoin ; ces icônes qui rappellent que Dieu s'est donné à voir dans le visage de Jésus. A voir et pas seulement à entendre.


Par le Christ, Dieu s'est fait visage aux hommes ; le visage du Christ est conpaissance de Dieu. Et cela d'une façon réelle : le Christ a un visage individuel, particulier, inscrit dans le temps et l'espace, inscription qui est gage de son humanité et, en même temps, « visage commun de l'humanité, visage des visages, non qu'il abolisse les autres pour se substituer à eux, mais parce que son rayonnement les pénètre, les rend transparents à sa propre lumière, à son incandescence secrète, qui est celle de l'Esprit », précise encore Olivier Clément (dans Le Visage intérieur, p. 31). L'art de l'icône montre qu'en Christ, « c'est la matière qui est devenue spirituelle », dans ce réalisme mystique qui nous échappe tant, folie pour nos logiques occidentales. «Etre chrétien, finalement, c'est découvrir au fond même de son enfer le visage de Dieu, dévasté et ressuscité, défiguré et transfiguré, qui nous accueille, nous libère, nous rend la chance de l'icône, la possibilité du visage», écrit Olivier Clément. Un visage capable de devenir à son tour beauté de la seule et unique Beauté qui est Dieu.




Métropolite Stephanos de Tallinn et de toute l'Estonie

Cet essai a été présenté comme conférence au festival de « Trialogos » de Tallinn le 1er octobre 2005. TI est la compilation des extraits bibliographiques suivants: Revue CONTACTS: a) N° 64/ 4ème Trim. 1968: Jean ONIMUS : Métamorphose de la Beauté, pp. 254-272. : Paul Evdokimov: Vision de la Beauté, pp. 300-322. b)N° 105 / 1er Trim.1979 : Jacques Touraille : La Beauté, Icône du Royaume, pp.1-24.
Olivier CLEMENT: a) L'Œil de Feu, Ed. Fata Morgana 1994, pp. 89-101. b) Sillons de Lumière, Ed. Fates, Troyes 2002, pp.103-120.
Franck DAMOUR : Olivier Clément, un Passeur, Ed.Anne Sigier,Canada, 1er trim. 2003, pp. 139-158.

Laissez travailler les icônes ! - elles mènent à la foi

les fondements théologiques et spirituels du retour à l’Icône.


Le retour à la pureté de l’Icône


Léonide Ouspensky était né en 1902, dans la région de Zadonsk, dans une famille de propriétaires terriens. Il aimait peindre depuis son enfance. Engagé tout jeune au côté des communistes, il avait été soldat dans l’armée rouge et c’est là qu’une première fois la Providence manifesta sa protection. Fait prisonnier par les Blancs, Léonide Alexandrovitch allait être fusillé. Lorsque fut venu le moment de l’exécution, un gradé de l’Armée Blanche qui passait là « par hasard », voyant qu’il s’agissait d’un tout jeune homme – il avait dix huit ans – s’écria : «Non ! Pas lui !» et il fut affecté à l’artillerie. Jusqu’à la fin de ses jours, Ouspensky pria pour cet homme qui lui avait sauvé la vie. Plus tard, travaillant dans une mine en Bulgarie, il eut la main droite gravement blessée et devait rester infirme. Il fut opéré dans des conditions de fortune mais, à nouveau, par un vrai miracle, sa main devait ensuite fonctionner normalement.

Il vint en France en 1926 et travailla quelques temps dans les hauts fourneaux, puis en usine. En 1930, ayant mis un peu d’argent de côté, il s’inscrivit dans l’académie de peinture fondée l’année précédente par Tatiana Lvovna Tolstoï où enseignaient divers professeurs dont Milioti (62), et se consacra entièrement à la peinture. Cette académie devait fermer après un an de fonctionnement, faute de moyens. Mais les élèves continuèrent de louer un local où ils se retrouvaient pour peindre. C’est là que Léonide Alexandrovitch rencontra Georges Ivanovitch Krug, le futur moine Grégoire, et se lia tout de suite avec lui. Très vite, ce dernier se mit à lui parler des icônes. Mais Ouspensky n’était pas encore croyant. Il visitait souvent le Louvre et découvrit d’abord l’art égyptien, puis l’art roman. A cette époque, ils firent la connaissance d’un antiquaire, Grinberg, qui avait toute une collection de très belles et très anciennes icônes. En les regardant, Ouspensky compris que c’était quelque chose qui n’avait son équivalent nulle part. Un peintre russe qui connaissait la technique, Fedorov, passa quelques temps à Paris et les deux amis prirent quelques leçons avec lui. Alors Ouspensky, muni de cette technique, paria avec Krug qu’il pouvait facilement peindre une icône bien que non croyant. Il peignit en quinze jours une icône de la Mère de Dieu. Mais, durant ce travail, il comprit que c’est une chose sainte qui ne peut être l’objet d’un pari et la brûla. Dès lors il s’installa régulièrement chez Grinberg pour contempler longuement les icônes, cherchant à en pénétrer le mystère et à comprendre comment elles sont faites. Ainsi, il devint peu à peu à la fois Chrétien et iconographe. Et l’on peut dire à juste titre que ce sont les icônes elles-mêmes qui le menèrent à la foi. Aussi plus tard, disait-il souvent : « Laissez travailler les icônes ! » Bientôt il entra dans la Confrérie Saint Photius et participa activement à ses travaux.

Le Père Grégoire, quant à lui, avait découvert la foi bien avant, en Estonie, grâce à son ami Zouroff. Il s’était depuis longtemps consacré à la peinture et à la musique. Sans doute avait-il alors également commencé à peindre des icônes (63). Ce fut cependant son entrée à la paroisse des Trois Saints Docteurs et dans la Confrérie qui acheva pleinement sa conversion. A Réval il avait appris l’ouverture de l’Académie de Tatiana Tolstoï et était venu à Paris dans le but de s’y inscrire. Il aimait passionnément l’art russe et semblait posséder les icônes en lui même, comme un monde intérieur, à demi mémoire, à demi rêvé. Ainsi son Père spirituel, l’Archimandrite Serge, disait-il plus tard qu’il n’avait jamais copié d’icône mais les avait toujours trouvées en lui-même (64). Le Père Athanase en 1933, rapporte Lydia Ouspensky, demanda aux deux jeunes hommes qui s’étaient mis de concert à peindre des icônes, de décorer l’église. Il leur dit: « Ce qu’est une icône, je ne sais. Ce que je sais, c’est que cela diffère absolument de toute autre peinture, autant que l’Evangile de toute autre littérature ! Alors, débrouillez-vous ! » Ils se partagèrent la tâche. Krug peignit les deux iconostases et Ouspensky plusieurs icônes portatives, comme la grande icône des Trois Saints Docteurs, et celles des fêtes (65). Alors, il ne fut pas question de fresque. Cela donna lieu cependant à un travail intense dont on perçoit bien le tourment dans ces premières icônes, retouchées ou non par la suite, comme ce fut le cas pour celles du Père Grégoire.






Par la nature même de la démarche qui l’avait conduit à l’Orthodoxie, il était impossible pour Ouspensky, de se borner à reproduire extérieurement des icônes, aussi belles soient-elles. Il fallait en pénétrer le processus à la fois plastique et spirituel, retrouver la même vision, non dans un sens extatique ou imaginaire, mais dans le sens d’une participation vivante et ecclésiale, d’une communion au même mode d’être, que la création soit l’expression directe de la vie. Il y fallait une lutte sur le plan spirituel, théologique et plastique, et donc aussi une recherche historique, puisque la conscience traditionnelle s’était en grande partie perdue depuis le 17ième siècle. Aussi prit-il une part active au travail de la Confrérie.






En découvrant les icônes, Ouspensky avait perçu en elles la sainteté, et dans la sainteté, la manifestation du Dieu vivant. Cela impliquait une transformation de l’homme tout entier. Et le point focal du combat, en même temps que la première prise accordée au combattant, était et demeure certainement la lutte avec soi-même. Aussi ces icônes expriment-elles avec beaucoup d’intensité – ce qui est le travail de base indispensable à la peinture d’ icônes – ce que les Pères du désert appellent le reniement de soi, le commandement évangélique : « Celui qui veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

Et pour être l’expression de la vie, cette sainteté de l’icône ne pouvait s’exprimer que dans une création pleinement personnelle. C’est la théologie, déjà largement élaborée, de la Confrérie, particulièrement son ecclésiologie (66), qui lui donna les moyens théoriques et spirituels, de réaliser une ré-appropriation créatrice qui impliquait une incarnation locale originale de l’iconicité universelle – ce par quoi une icône est toujours et partout une icône – c’est-à-dire à l’intérieur du « canon iconographique » et de la Tradition. Ainsi ce furent ceux-là seuls qui percevaient et comprenaient l’universalité de l’Orthodoxie, c’est-à-dire ceux pour qui la Vérité de la foi était une expérience vivante, qui furent capables, par là même, de lui donner une incarnation pleinement locale et de faire venir à la lumière, par la création des icônes, la spécificité unique de la terre sur laquelle ils vivaient.




Nous avons vu que le manifeste de la Confrérie utilise l’opposition entre l’Eglise universelle et l’Eglise locale. Dans des travaux plus récents, et des membres de la Confrérie eux-mêmes, cette opposition de l’universel et du local est dépassée dans l’idée de « catholicité » qui ne traduit pas l’idée d’ « universalité » exactement (67), mais la manière dont les deux non seulement se complètent mais s’unissent. « L’Eglise est le corps du Christ.(…) L’Eglise locale est l’Eglise tout entière pour la seule raison que le Christ historique intégral s’est incarné en elle par la divine eucharistie. C’est pour cela qu’elle peut être considérée comme l’Eglise de Dieu. (…) En tant qu’elle est toute l’Eglise, l’Eglise locale est catholique parce qu’elle possède le Christ intégral dans la divine eucharistie.(68)» Mais la notion d’universalité utilisée par la Confrérie ainsi que par le père Georges Florowsky à la même époque (69), n’est certainement pas sans rapport avec le critère de la vraie foi selon Saint Vincent de Lérins : « Ce qui a été cru en tous lieux, en tous temps et par tous.(70)»



Cette opposition de l’universel et du local est en ce sens indispensable pour prendre conscience de l’indépendance de ce qui est essentiellement orthodoxe vis-à-vis des formes spécifiquement nationales ou culturellement déterminées. « La Confrérie Saint Photius, dit Catherine Aslanoff, a formé une génération de jeunes émigrés russes, leur a appris à rechercher l’essentiel dans le Christianisme, à le purifier de ses formes folkloriques, à le libérer d’un traditionalisme fait d’habitudes immuables pour retrouver la vraie Tradition de l’Eglise, celle des Saints, des Apôtres, des défenseurs de la foi (71)».

Cette opposition était nécessaire pour manifester concrètement la catholicité dans l’étude des formes locales où celle-ci s’incarne, comme par exemple les différents styles iconographiques ou les différents types de sainteté : « cette « unité dans la diversité » et cette « richesse dans l’unité », qui exprime (…) le principe de catholicité de l’Eglise Orthodoxe (72)». Dans le jeux des deux apparaît la catholicité, la présence de l’universel dans, par et à travers, – grâce au local. De même qu’il est impossible de parvenir à saisir la ressemblance d’un Saint sans étudier toutes les icônes qui le représentent, de même il est difficile de saisir la catholicité de l’icône sans comparaison de multiples styles iconographiques différents. Bien sûr, la comparaison peut être infinie, sans qu’on parvienne à une quelconque saisie de cette catholicité, comme c’est le cas de ceux qui étudient les icônes sans « la foi et l’amour ». La perception de la catholicité iconographique est liée au don du Saint Esprit, reçu au baptême dans la confession de la foi Orthodoxe. Mais pour qui a reçu ce don, la comparaison permet de mieux réaliser la nature universelle – ou transculturelle – de la catholicité de l’icône, c’est-à-dire de saisir petit à petit ce qu’est le « canon iconographique », qui n’est lié en lui-même à aucune forme locale définie, mais qui est « la façon de représenter le Fils de l’homme » de manière à ce qu’elle « reflète Sa gloire divine, l’image humaine de Dieu le Verbe (73)». Dans l’icône ( comme d’ailleurs dans l’Eglise en général ) « canonique » est donc synonyme de « catholique », ce par quoi toute icône est l’icône du Christ.

C’est ainsi que Krug et Ouspensky, chacun à sa manière, en cherchant uniquement, dans sa plénitude, cette catholicité iconographique, c’est-à-dire sans se contenter de la facilité qui consistait à faire, sans les comprendre, des copies plus ou moins pâles d’icônes anciennes, ont créé, sans le chercher, un style tout à fait particulier, un style qui n’avait jamais été vu nulle part ailleurs et qui manifeste pleinement la catholicité de l’icône ici et aujourd’hui. Tout repose sur la vie spirituelle. « L’unité du langage pictural de l’Orthodoxie est une conséquence et une manifestation de l’unité de la doctrine et de la vie spirituelle », et ce fut la décadence de la vie spirituelle qui fut la cause de la perte de l’esprit de la Tradition en Russie (74). « L’originalité de l’art des pays orthodoxes est due au fait que dans l’Eglise orthodoxe l’unité de la foi et des sacrements non seulement n’exclut pas la variété des formes de culte, de l’art et d’autres manifestations de la vie ecclésiale conditionnées par les caractéristiques nationales et culturelles mais au contraire provoque cette variété parce qu’elle implique une expérience vécue, toujours renouvelée, de la Tradition, nécessairement originale et créatrice (75)». Que faut-il entendre ici par « vie spirituelle » ? Il faut entendre la vie chrétienne, conforme aux commandements du Christ, dans toute son extension. L’Archimandrite Sophrony dit en effet que la vie ne peut être spirituellement juste, c’est-à-dire orthodoxe, que si elle est inséparablement ascétique, théologique et ecclésiale (76), « l’expérience directe et vécue de la Vérité », qui seule permet à « chaque peuple d’élaborer son langage sacré pictural ». « Et la sainteté et l’image reçoivent [alors] une forme et un caractère nationaux parce qu’elles sont le résultat d’une expérience vécue (77) ».

Conformément à la pensée de la Confrérie, les deux iconographes, envoyés par la Providence et convertis sur le sol français, y pratiquèrent en quelque sorte la mission, tout comme Saint Photius jadis avait envoyé une mission dans les pays slaves. « Le centre de la mission était essentiellement la prédication de l’Orthodoxie. C’était une mission de l’Eglise et le Patriarche Photius était guidé non par le désir de prêcher le Royaume de César, mais bien par ce qui était pour lui le caractère essentiel de l’Orthodoxie : son universalité. L’art sacré ainsi ‘exporté’ constituait précisément une prédication de l’Orthodoxie et non une ‘civilisation’ comprise comme une expansion de la culture chrétienne ou de l’empire (78)». De la même manière, bien que Russes, ce n’est pas la culture russe que Krug et Ouspensky ont apportée à l’Eglise Orthodoxe en France, mais la prédication de l’Orthodoxie universelle. Bien que Russes, ils n’en furent pas moins les créateurs des premières icônes françaises, tout comme les iconographes byzantins installés en Russie avaient été les créateurs des premières icônes russes et comme les premiers peintres russes avaient été formés par l’iconographie byzantine. Même si l’icône de la Mère de Dieu de Vladimir est de facture byzantine, comment ne pas y voir l’icône russe par excellence, ce que les innombrables icônes de sa postérité, de facture russe cette fois, prouvent éloquemment ? Et d’autant plus dans le cas d’Ouspensky et de Krug, leurs icônes n’ayant pas été importées mais créées sur place.

Cette création, à la fois volontaire et involontaire, d’un nouveau style eut humainement deux vecteurs, deux aspects inséparables d’une même ascèse : d’un côté, sur le plan spirituel, la conversion et le combat ascétique avec soi, et d’un autre côté, sur le plan plastique et théologique, la recherche d’une iconicité véritable qui puisse s’incarner dans une forme occidentale, c’est-à-dire une forme à créer (79). Non que cette iconicité existe en dehors de cette incarnation. Il aurait été plus facile en effet, si cela avait été possible, de composer dans l’abstrait, pour donner une forme concrète ensuite – par exemple, élaborer dans l’imaginaire une peinture romane d’un nouveau genre, pour la réaliser ensuite avec plus ou moins de bonheur, ce qui d’ailleurs fut tenté par d’autres. Mais cela n’aurait pas impliqué la même transformation de soi, la même lutte, et le travail n’aurait donc pas été, comme il le fut, une collaboration entre Dieu et l’homme! Non, il fallait retrouver dans le concret lui-même, quitte à s’aider par ailleurs de telle ou telle réalisation locale comme justement la peinture romane, dans cette bataille avec la forme, la matière, la couleur, avec le sens, avec soi-même, les goûts, les passions, les habitudes, la souffrance, les souvenirs, le savoir, l’ignorance, cette iconicité, qui seule était capable de transfigurer la boue pour en faire l’Image ressemblante de Dieu et « montrer en elle la gloire de Dieu le Verbe ». C’est pour cela que ces deux combats étaient et demeurent pratiquement inséparables, même s’il est licite de les distinguer (puisque tout Chrétien n’est pas peintre d’icône).

Chaque lutte pour parvenir à rendre « iconographique » un élément plastique est un combat en Christ pour relever la nature déchue. Aussi l’iconographe, avec chaque icône, peint-il lui-même sa propre ressemblance avec son Créateur : « par l’ascèse, suprême ressemblance, écrit le Père Grégoire, l’image de Dieu s’inscrit dans le tréfonds de l’homme et cet effort constructif, ininterrompu et inaliénable est la condition fondamentale de la vie de l’homme, une sorte d’empreinte de l’image du Christ sur les fondements de l’âme (80)».


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62) Sur cette académie, voir Valentine Marcadé, " Hommage au Père Grégoire Krug ", dans Carnet d'un peintre d'icônes, p.11-12.
63) Valentine Marcadé le dit, op.cit. p.13.

64) Sur la biographie du Père Grégoire Krug, on peut se reporter au recueil, Le Père Grégoire, 1999, édit. du Monastère de Korsoun, et, pour une description très expressive de sa personnalité, à l'article de Léonide Zouroff, reproduit p.57-66. Les propos du Père Serge ne signifient pas que le Père Grégoire ne s'est jamais inspiré de telle ou telle icône plus ancienne, mais que, d'une manière générale, elles prenaient forme dans son âme, sous l'inspiration du Saint Esprit. Sur le lien entre sa peinture et la contemplation, voir Catherine Aslanoff, " Le Père Grégoire Krug ", dans Carnets d'un peintre d'icônes, p 25-28.

65) Ouspensky semble avoir cependant participé à la peinture de certaines parties des iconostases. Comme il devait subvenir à ses besoins ainsi qu'à ceux de son épouse, contrairement au père Grégoire, il fut payé pour son travail, pour les icônes portatives en tout cas. Comme on n'avait pas d'argent, on organisait une souscription à la mort de chaque défunt, les personnes concernées se cotisaient et offraient l'icône à sa mémoire. Ainsi, au dos de chaque fête, se trouve mentionné un nom avec " Pour le repos de l'âme de N… " et une date.

66) Voir plus haut, l'exposé des thèses de la Confrérie, p. 1 à 4.

67) Voir Père Georges Florovsky, en anglais, " Le problème historique d'une définition de l'Eglise ", au volume 14 des Œuvres, p. 33 et sq. (" The historical problem of a definition of the Church ", The collected works, XIV), qui se réfère à St Cyrille de Jérusalem, Catéchèses, XVIII, 23 (traduction française dans la collection " Les pères dans la foi ", Paris, 1993, p.310).

68) Métropolite Jean de Pergame, L'eucharistie, l'évêque et l'Eglise, Paris, DDB, 1997 p. 127-129.

69) Voir l'article cité plus haut, " Le témoignage de l'Eglise universelle ", note 23, p. 4.

70) Saint Vincent de Lérins, Commonitorium, 2.

71) C. Aslanoff, article cité, p. 28.

72) Voir l'article d'Ouspensky, " Quelques propos sur le sens dogmatique de l'icône ", publié sous le titre : " L'icône, vision du monde spirituel ", à Paris, chez Setor, en 1948, p. 11, et repris dans ce volume, p. 115-128.

73) " Si les traits historiques de Jésus, Son portrait, sont un témoignage de la venue dans la chair, de l'abaissement, de l'humiliation de la Divinité, la façon de représenter ' le Fils de l'homme' doit refléter la gloire de Dieu. Autrement dit l'humilité de Dieu le Verbe doit être montrée de telle façon qu'en le regardant, nous contemplions Sa gloire divine, l'image humaine de Dieu le Verbe, et que, par là, nous concevions le caractère salutaire de sa mort et de 'la délivrance qui en a résulté pour le monde' ". Ouspensky, La théologie de l'icône, p.76, commentant la règle 82 du Concile Quinisexte.

74) Cf. dans le même ouvrage, le chapitre : " Les conciles moscovites du 16ième siècle ", p 261.

75) Voir La théologie de l'icône, p.196-197.

76) Archimandrite Sophrony, " Lettre à un ami ", in Buisson ardent, n° 5, p.5, 2ième colonne.

77) La théologie de l'icône, p.197.

78) Ibid., p195-196.

79) Il ne s'avérait pas possible de reprendre tel quel l'art roman, enraciné dans la théologie et la spiritualité carolingiennes, et dont la tradition vivante s'était par ailleurs perdue. Travailler à partir de cet art aurait signifié chercher à construire le vrai sur le fondement du faux. Après quelques tentatives, Ouspensky abandonna cette piste.

80) Moine Grégoire, Carnets d'un peintre d'icônes, Lausanne 1983, p.35. Saint Macaire le Grand dit la même chose : Homélies 30, §3 (p. 281-282 de la traduction française).

23 novembre 2007

Ma première Icône, mois après mois !




























































































Ma deuxième !! A votre avis qui est-ce ?




14 octobre 2007

Résurrection du fils unique de la veuve












St Luc VII, 11-16





11 Le jour suivant, Jésus alla dans une ville appelée Naïn; ses disciples et une grande foule faisaient route avec lui.
12 Lorsqu'il fut près de la porte de la ville, voici, on portait en terre un mort, fils unique de sa mère, qui était veuve; et il y avait avec elle beaucoup de gens de la ville.
13 Le Seigneur, l'ayant vue, fut ému de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleure pas!
14 Il s'approcha, et toucha le cercueil. Ceux qui le portaient s'arrêtèrent. Il dit: Jeune homme, je te le dis, lève-toi!
15 Et le mort s'assit, et se mit à parler. Jésus le rendit à sa mère.
16 Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, disant: Un grand prophète a paru parmi nous, et Dieu a visité son peuple.




Homélie d'un moine orthodoxe de l'eglise d'occident


Chers frères et sœurs !


Nulle part ailleurs dans la Bible n’est mentionnée la ville de Naïn ; cette petite bourgade située non loin du Mont Thabor ; une petite ville où sera manifestée non seulement la lumière d’une transfiguration certaine, mais aussi et surtout la pleine lumière d’une résurrection, c’est à dire la pleine Lumière de la Résurrection.

En étant attentifs au récit de cette scène évangélique il est frappant de constater que d’emblée que deux groupes distincts se croisent :
D’une part un imposant cortège funèbre et d’une autre part le Christ suivi de Ses apôtres mais également d’un nombre important de personnes ; « une foule nombreuse » comme le dit le texte au verset 11.
Autant dire que le symbolisme qui se dégage de cette scène est fort puisque d’évidence la Vie et la mort se rencontrent, la Vie et la mort se confrontent ; la Vie et la mort se retrouvent face à face pour ainsi dire.
La mort étant représentée ici de façon crue et accentuée par une femme non seulement veuve, mais qui plus est par une femme légitimement atteinte dans son affectivité par la perte d’un jeune fils unique; la Vie quant à elle étant bien évidemment symbolisée par le Christ et la foule nombreuse d’hommes et de femmes qui Le suivait.

En voyant la souffrance qui se dégageait de cette procession funéraire, le Christ manifesta à la fois Sa pleine humanité et à la fois Sa divinité : Son humanité en étant « pris de compassion », sa divinité en opérant le miracle de la résurrection.
Être « pris de compassion » est lourd de sens, puisque littéralement le verbe « compatir » signifie « souffrir avec » ; et pourtant, plus encore qu’une simple compassion humaine, cela signifie la tendresse et l’amour dont Dieu fait preuve face à notre misère ; la tendresse et l’amour de Dieu face à notre propre souffrance. En un mot : cela signifie la miséricorde dont Dieu use généreusement envers chacun de nous.

L’Evangile de Saint Luc étant ; rappelons-le ; entièrement axé sur la montée et la progression du Christ vers Jérusalem (c'est-à-dire vers la résurrection) ; le récit de la veuve de Naïn nous présente Jésus dans son action de Sauveur des hommes, inaugurant le Règne de Dieu dans sa manifestation pascale et Son intimité avec Lui ; c'est-à-dire que Saint Luc entend bien souligner l’action effective du Christ ; action qui est en lien avec Sa divinité d’où Lui vient le pouvoir de ressusciter les morts.


Pour le Christ une seule parole a suffit pour ressusciter le jeune homme : « Je te le dis ; lève-toi ! » ; ce « lève-toi » qui sous-entend le dynamisme de la vie propre à la Résurrection du Christ, mais aussi la résurrection spirituelle que réalise l’éveil du baptême ainsi que le dit Saint Paul dans l’épître aux Ephésiens : « Eveille-toi, toi qui dors ; lève-toi d’entre les morts et sur toi luira le Christ ! » (Eph, V-14).
La résurrection du fils de la veuve présage dès à présent toutes les résurrections à venir ; comme en réponse à ces « petites morts » que nous pouvons traverser et où nous entraîne le péché, pour reprendre St Ambroise de Milan qui précise que « même si il y a péché grave que vous ne puissiez laver par les larmes du repentir ; que pour vous pleure cette Mère qu’est l’Eglise et qui intervient pour chacun de ses enfants comme une mère veuve pour des fils uniques…lorsqu’elle voit ses enfants poussés vers la mort par des actes funestes ».



Chers frères et sœurs ; soyons donc intimement convaincus que la Résurrection du Christ est la voie et la réponse à toute souffrance affective ; ce genre de souffrances dont la veuve de Naïn était en quelque sorte l’incarnation avant sa rencontre avec le Christ ; en tant qu’elle était privée d’un conjoint aimant et fidèle mais aussi d’un enfant, ce qui aurait fait toute sa joie de femme.
Si l’Evangile n’indique pas qu’elle se soit révoltée ou ait cherché des dérivatifs et échappatoires en tous genres pour fuir la souffrance à laquelle elle était acculée, c’est que tel devait être le cas : elle a su accueillir spirituellement cette souffrance jusqu’à ce que le Christ se penche vers elle dans un élan d’amour compatissant et ce, sans qu’elle ait demandé quoi que ce soit.

Ainsi, face à toutes les souffrances auxquelles nous pouvons être confrontés qu’elles soient d’ordre spirituel, affectif, psychique ou physique ; une seule question doit être présente dans nos esprits et dans nos cœurs : « Oui ou non croyons-nous en la Résurrection du Christ et confessons-nous vraiment la Résurrection du Christ ? »
Nul doute que si nous sommes tous réunis ici aujourd’hui, c’est que la réponse à cette question est positive ; alors n’hésitons pas un instant à le prouver (avec l’aide de Dieu bien sûr) ; alors déjà aujourd’hui, dans l’instant présent nous ressusciterons avec Lui et en Lui !


Amen !