01 octobre 2006

Parabole des talents


Le 1er octobre, nous célébrons la Sainte PROTECTION de notre Souveraine la Mère de Dieu et Toujours-Vierge Marie. fête de la Sainte Protection de la Mère de Dieu (1) a été instituée à la suite d'une vision qu'eut notre Saint Père André le Fou pour le Christ (2) un jour où l'on célébrait une vigile dans l'église des Blachernes à Constantinople. A la quatrième heure de la nuit, le Saint plongé en prière éleva ses yeux vers le ciel et vit la Sainte Mère de Dieu se tenir au-dessus de l'assemblée et recouvrir ses fidèles de son voile (mamphorion). André s'assura de la réalité de sa vision auprès de son disciple Epiphane qui lui aussi avait été jugé digne de contempler ce spectacle. Le Saint se précipita alors dans le Sanctuaire, ouvrit le coffret qui contenait le précieux voile de la Reine du monde, et, debout devant les Portes-Saintes, il l'étendit au-dessus de la foule. Le voile était si grand qu'il recouvrit toute la nombreuse assemblée, mais restait suspendu en l'air, soutenu par une force mystérieuse. La Mère de Dieu s'éleva alors dans le ciel, entourée d'un violent éclat lumineux, et disparut, laissant au peuple Chrétien Son Saint Voile en garantie de sa protection bienveillante. Cette protection, la Mère de Dieu la montra à mainte reprise à l'égard de la ville impériale et, par analogie, envers toute la Sainte Eglise 1. Cette fête est particulièrement solennisée dans les Eglises slaves. En Grèce, depuis 1960, elle a été transférée le 28 octobre en mémoire de la protection accordée par la Mère de Dieu aux troupes grecques résistant à l'invasion nazie sur le front albanais en 1940. 2. Commémoré le 28 mai. Il y avait deux pi-incipaux Sanctuaires consacrés à la Mère de Dieu à Byzance : l'église des Blachernes, contenant la Relique du Saint Mamphorion, et l'église de Chalcorratela, où était vénéré la robe et la ceinture de la Vierge.


Mt XXV:14-30


Il en sera comme d'un homme qui, partant pour un voyage, appela ses serviteurs, et leur remit ses biens. Il donna cinq talents à l'un, deux à l'autre, et un au troisième, à chacun selon sa capacité, et il partit. Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents s'en alla, les fit valoir, et il gagna cinq autres talents. De même, celui qui avait reçu les deux talents en gagna deux autres.
Celui qui n'en avait reçu qu'un alla faire un creux dans la terre, et cacha l'argent de son maître.
Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint, et leur fit rendre compte.

Celui qui avait reçu les cinq talents s'approcha, en apportant cinq autres talents, et il dit: Seigneur, tu m'as remis cinq talents; voici, j'en ai gagné cinq autres.
Son maître lui dit: C'est bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître.
Celui qui avait reçu les deux talents s'approcha aussi, et il dit: Seigneur, tu m'as remis deux talents; voici, j'en ai gagné deux autres.
Son maître lui dit : C'est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître.
Celui qui n'avait reçu qu'un talent s'approcha ensuite, et il dit : Seigneur, je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n'as pas semé, et qui amasses où tu n'as pas vanné;
j'ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre ; voici, prends ce qui est à toi.
Son maître lui répondit: Serviteur méchant et paresseux, tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que j'amasse où je n'ai pas vanné ;
il te fallait donc remettre mon argent aux banquiers, et, à mon retour, j'aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt.
Otez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents.
Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a.
Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents.




Méditation de St Jean Chrysostome

ANALYSE.

2. Combien il est avantageux que nous ignorions l’heure de notre mort, parabole des talents ; comparaison de cette parabole avec celle qui est rapportée au chapitre XIXe de saint Luc.

3. et 4. Combien nous devons ménager le temps de cette vie pour notre salut. — Du compte exact que Dieu nous fera rendre à son jugement. — Que chacun a reçu quelque talent qu’il doit faire profiter. — Du zèle que nous devons avoir pour le salut des autres. — Quelle vigilance nous devons avoir sur nos paroles et à quel usage Dieu nous adonné une langue. — Que nous devons travailler à nous rendre semblables à Jésus-Christ. — Par quels moyens nous le pouvons faire.



2. Combien il est avantageux que nous ignorions l’heure de notre mort, parabole des talents ; comparaison de cette parabole avec celle qui est rapportée au chapitre XIXe de saint Luc.

.....Dieu ne revient pas tout de suite redemander compte de l’argent qu’il avait donné en dépôt, mais qu’il laisse passer beaucoup de temps. On voit aussi dans la parabole de la vigne, qu’après l’avoir donnée aux vignerons, il va faire un grand voyage; voulant nous faire comprendre par toutes ces circonstances avec quelle patience il nous supporte. Il me semble aussi voir dans (4) ces paroles une allusion à la résurrection générale.

Il est remarquable encore que dans cette parabole des talents il n’y a ni vignerons ni vigne, mais que tous sont ouvriers; car il ne parle pas ici seulement aux princes des Juifs, ou au peuple, mais généralement à tous. Et considérez, mes frères, que lorsque ces serviteurs s’approchent de leur maître pour lui offrir ce qu’ils ont gagné dans leur trafic, ils reconnaissent tous avec une grande franchise, et ce qui vient d’eux, et ce qui vient de leur maître. L’un lui dit humblement qu’il a reçu cinq talents, et l’autre deux, et ils avouent tous deux par cette humble reconnaissance que c’est de lui qu’ils ont reçu le moyen d’agir. Ils lui témoignent tous qu’ils ne sont pas ingrats, et ils lui attribuent ce qu’ils ont comme venant uniquement de lui.

Que leur répond donc leur maître : « Bien ! serviteur bon et fidèle ». Car c’est être « bon que d’être attentif et appliqué à faire du bien à ses frères: « Bien ! serviteur bon et fidèle, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, je vous établirai sur beaucoup. Entrez dans la joie de votre Seigneur » : Ce seul mot renferme tout le bonheur de l’autre vie. Mais ce serviteur paresseux et lâche ne lui parle pas comme les deux autres.

« Celui qui n’avait reçu qu’un talent vint ensuite et dit : Seigneur, je sais que vous êtes un homme rude et sévère, que vous moissonnez où vous n’avez point semé, et que vous recueillez où vous n’avez rien mis (24). C’est pourquoi, comme je vous appréhendais, j’ai été cacher votre talent dans la terre. Le voici.: Je vous rends ce qui est à vous (25). Son maître lui répondit : Serviteur méchant et paresseux : Vous saviez que je moissonne où je n’ai point semé, et que je recueille où je n’ai rien mis (26). Vous deviez donc mettre mon argent entre les mains des banquiers, afin qu’à mon arrivée je retirasse avec usure ce qui est à moi (27) ». C’est-à-dire : Ne deviez-vous pas parler, avertir et conseiller vos frères? Ils .ne me croient pas, dites-vous. Mais que vous importe qu’ils vous croient ou qu’ils ne vous croient pas? Peut-on rien voir de plus doux que cette conduite? Il n’en est pas ainsi chez les hommes, mais celui qui a été chargé de prêter l’argent est obligé aussi d’en exiger l’intérêt.



3. et 4. Combien nous devons ménager le temps de cette vie pour notre salut. — Du compte exact que Dieu nous fera rendre à son jugement. — Que chacun a reçu quelque talent qu’il doit faire profiter. — Du zèle que nous devons avoir pour le salut des autres. — Quelle vigilance nous devons avoir sur nos paroles et à quel usage Dieu nous adonné une langue. — Que nous devons travailler à nous rendre semblables à Jésus-Christ. — Par quels moyens nous le pouvons faire.

3. Dieu exige moins de ses serviteurs : « Vous deviez », dit-il, « mettre mon argent entre les mains des banquiers », et me laisser à moi seul le soin de l’exiger avec usure, comme j’eusse fait à mon arrivée. Ce mot « d’usure » se doit prendre pour la pratique des bonnes oeuvres. Vous deviez donc faire ce qui était le plus aisé, et vous reposer sur moi du plus difficile. Mais puisque vous ne l’avez pas fait «Qu’on lui ôte le talent qu’il a, et qu’on le donne à celui qui a dix talents (28). Car on donnera à tous ceux qui ont déjà, et ils seront comblés de richesses, mais pour celui qui n’a point, on lui ôtera même ce qu’il a (29) ». C’est-à-dire, celui qui a reçu de Dieu le don de science pour l’utilité des autres, et qui ne s’en sert pas, le perdra entièrement. Au lieu que celui qui dispense sagement et avec soin ce qu’il sait, fera croître encore ce don que l’autre étouffe et détruit par sa paresse. Mais le malheur de ce serviteur paresseux et négligent ne se termine pas là et cette première parole est aussitôt suivie d’une sentence terrible.
« Qu’on précipite donc dans les ténèbres extérieures ce serviteur inutile : C’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents (30) ». Remarquez donc ici, mes frères, que ce ne sont pas seulement les voleurs et les usurpateurs du bien d’autrui, ni ceux qui commettent des violences, qui seront condamnés par Jésus-Christ aux flammes éternelles de l’enfer, mais encore ceux qui sont lâches pour faire le bien.
Ecoutons, mes frères, ces paroles effrayantes, et pendant que nous en avons encore le temps, travaillons sérieusement à notre salut. Prenons de l’huile dans nos lampes, et faisons fructifier le talent que Dieu nous a donné en dépôt: Si nous vivons ici dans la paresse et dans la .négligence , personne n’aura alors compassion de notre misère ni de nos larmes. Nous voyons que celui qui osa se présenter à ces noces saintes de l’Evangile avec un vêtement sale, se condamna lui-même par son silence, et que néanmoins cet arrêt qu’il porta contre lui-même ne lui servit de rien, et qu’il n’empêcha pas qu’on ne le jetât dans les ténèbres extérieures. Nous venons encore de le voir, le serviteur paresseux a beau rendre tout l’argent qu’il avait reçu, il n’évite pas néanmoins la juste colère de son maître. On voit aussi que les vierges folles viennent frapper à la porte de l’Epoux, et qu’on ne leur ouvre pas. (6)
Il faut donc que la vue et que la méditation de ces vérités terribles nous porte à assister nos frères de nos biens, de nos soins, de notre autorité et de tout ce qui nous sera possible. Car il faut par ce mot de « talent » entendre tout ce par quoi chacun peut contribuer à l’avantage de son frère, soit en le soutenant de son autorité, soit en l’aidant de son argent, soit en l’assistant de ses conseils, soit en lui rendant tous Les au,tres services qu’il est capable de lui rendre.
Et que personne ne dise en lui-même: Que puis-je faire n’ayant reçu qu’un seul talent? Un seul talent peut vous suffire pour témoigner votre fidélité envers votre maître, et pour vous rendre agréable aux yeux de Dieu. Vous n’êtes pas plus pauvre que cette veuve de l’Evangile qui n’avait que deux petites pièces de monnaie. Vous n’êtes pas plus grossier que ne l’était saint Pierre ou que saint Jean, qui étaient des hommes sans lettres et qui sont devenus néanmoins les princes du ciel, par cette charité catholique et universelle qu’ils ont eue pour toute la terre.
Rien n’est si agréable à Dieu que de sacrifier sa vie à l’utilité publique de tous ses frères. C’est pour cela que Dieu nous a honorés de la raison, qu’il nous a donné l-a parole, qu’il nous a inspiré une âme, qu’il a formé nos pieds et nos mains, qu’il a répandu la force dans tout notre corps, afin que nous pussions user de toutes ces choses pour le bien de tous les hommes. Car la parole ne nous sert pas seulement pour chanter à Dieu des cantiques de louanges, et pour lui rendre grâces de ces dons : elle nous sert encore pour instruire nos frères, et pour leur donner de saints avis. Si nous sommes fidèles en ce point, nous imiterons Jésus-Christ notre maître, en ne disant aux hommes que ce que Dieu lui-même nous dit dans le coeur. Si au contraire nous y sommes infidèles, nous imiterons le démon.
Saint Pierre ayant autrefois confessé que Jésus était le Christ, il fut appelé « heureux », parce qu’il n’avait dit que ce que le Père céleste lui avait appris: mais lorsqu’il parla avec tant de force contre les souffrances et contré la croix, il en fut repris du Sauveur, parce que les sentiments qu’il témoignait au dehors ne pouvaient lui être inspirés que du démon. Si cet apôtre mérita une si sévère réprimande pour avoir seulement dit une parole d’ignorance, quelle excuse pouvons-nous prétendre nous autres en péchant si volontairement, et avec une connaissance si claire de tout le mal que nous faisons?
Ne disons donc, mes frères, que des paroles qui paraissent être visiblement des paroles de Jésus-Christ. Car je parle comme Jésus-Christ, non-seulement lorsque je dis en guérissant un malade: « Levez-vous et marchez », mais encore lorsque je bénis ceux qui me maudissent et que je prie pour ceux qui m’outragent. Je me souviens de vous avoir déjà dit que notre langue est comme une main qui va jusqu’au trône de Dieu. Mais je passe encore plus avant aujourd’hui, et je dis que notre langue est la langue même de Jésus-Christ. Car nous serons comme sa langue et sa bouche, lorsque toutes nos paroles seront réglées par la circonspection et par la sagesse.
Faisons donc, mes frères, que notre langue ne dise que ce que Jésus-Christ veut qu’elle dise. C’est-à-dire des paroles pleines de douceur, d’humilité et de charité. C’est ainsi qu’il répondait lui-même à ceux qui le déchiraient par les injures les plus atroces, lorsqu’il disait : « Je ne suis point possédé du démon ». (Jean, VIII, 19.) Et ailleurs: « Si j’ai mal parlé faites-le-moi voir». (Ibid. XVIII, 23.) Si vous gardez cette modération dans vos réponses, si vous avez pour but dans toutes vos paroles l’édification du prochain, votre langue deviendra semblable à celle de Jésus-Christ. Ce n’est pas de moi-même que je parle de la sorte, c’est Dieu qui nous l’assure par ses prophètes: « Celui », dit-il, « qui élève le pauvre, et qui le met en honneur, deviendra ma langue et ma bouche ». (Jérém. XV, 19.)
Quelle plus grande gloire vous peut-il donc arriver, mes frères, que de ,voir votre bouche devenir la ,bouche de Dieu; votre langue la langue de Jésus-Christ, et votre âme le temple de l’Esprit-Saint? Si on rendait votre bouche d’un or très-pur, et qu’on l’enrichît d’un grand nombre de diamants de grand prix, que Serait-ce que cet ornement en comparaison de ce qu’elle est, lorsque l’humilité et la douceur forment et tempèrent toutes vos paroles? Qu’y a-t-il de plus aimable qu’une bouche qui est éternellement fermée aux malédictions et aux injures, et qui est toujours ouvert pour bénir ceux même qui nous outragent?
4. Que si vous n’avez pas assez de force pour (6) bénir celui qui vous maudit, gardez au moins le silence, et pratiquez ce bien en attendant que vous puissiez faire davantage. Ce premier degré vous conduira plus loin, et ce silence si chrétien vous accoutumera peu à peu à parler dans ces rencontres, comme Jésus-Christ a fait en de semblables occasions. Mais ne croyez point que j’exige trop de vous. Le maître que nous servons est un Dieu de grâce, et cette douceur dont je parle est un don de sa bonté. Ce qui m’est pénible et ce que je ne puis souffrir, c’est de voir des personnes qui ont une bouche et une langue de démons, et qui ne se plaisent qu’à la déshonorer par des discours infâmes, après qu’elle a été consacrée par la participation de nos saints mystères, et par l’attouchement de la chair si sainte et si pure du Sauveur.
Pensez donc à ces vérités, mes frères. Travaillez à vous rendre semblables à Jésus-Christ. Quand vous serez en cet état, il ne sera plus possible à l’ennemi de vous nuire, ni d’oser même vous regarder. Il reconnaît trop dans vous les marques et les caractères de son Roi; et il tremble devant ces armes qui l’ont percé et l’ont renversé par terre. Ces armes sont l’humilité et la douceur. C’est par elles qu’il a été confondu sur cette .montagne, où il osa transporter le Sauveur pour reconnaître s’il était le Christ. La modération du Fils de Dieu le terrassa, sa douceur le foudroya, et son humilité divine triompha de l’orgueil et de l’insolence de cet imposteur.
Servez-vous donc de ces mêmes armes. Lorsque vous verrez les hommes imiter le démon, et vous attaquer comme lui, tâchez de le vaincre de la même manière que Jésus-Christ l’a vaincu. Le Fils de Dieu vous a donné la grâce et la force de l’aimer dans ses actions, et de lui devenir semblables. Que ce que je vous dis ne vous fasse point trembler : tremblez plutôt si vous avez négligé de vous rendre conformes au Fils de Dieu. Parlez comme lui, et vous deviendrez semblables à lui, autant qu’un homme le peut devenir. C’est pourquoi j’ose assurer que celui qui parle humblement et avec modestie, fait plus que celui qui prophétiserait et qui prédirait l’avenir; puisque ce dernier don est tout extérieur, et que notre vertu n’y a point de part, au lieu que l’autre vient du règlement et de la pureté de notre coeur. Appliquez-vous donc à régler et à former votre bouche de telle sorte qu’elle devienne semblable à celle de Jésus-Christ. Le Sauveur est assez puissant pour faire cette merveille si vous le voulez. Il en sait le moyen, et il l’exécutera si vous ne vous y opposez point par votre mollesse.
Vous me demanderez peut-être comment on peut orner ainsi sa bouche, avec quelles couleurs on peut l’embellir. Il n’est point besoin pour cela, mes frères, de blanc ou de rouge. La seule vertu, la douceur, l’humilité, lui donnent tous ces ornements et tout cet éclat dont nous parIons. Le démon aussi a sa manière d’orner la bouche de ceux qu’il anime. Et il est bon de connaître ses marques afin de les éviter. Quelles sont ces noires couleurs dont il pare ceux qu’il possède? Ce sont les malédictions, les blasphèmes, les injures, les contradictions et les parjures. Car celui qui parle en démon est la bouche du démon.
Quelle espérance donc pouvons-nous avoir que Dieu nous pardonne, ou plutôt quels tourments n’avons-nous pas sujet de craindre, si nous souffrons que notre bouche devienne l’organe du démon, après qu’elle a été sanctifiée parla chair même du Sauveur du monde? Ne commettons pas un crime si détestable, et tâchons de conduire notre langue de telle sorte qu’elle soit toujours prête à imiter le langage de Jésus-Christ.. C’est alors que nous serons aimés de lui, et que nous nous présenterons devant son tribunal terrible avec une entière confiance. Si nous n’apprenons ici ce langage d’humilité, Jésus-Christ ne vous entendra point alors. Comme un juge romain n’écouterait point votre cause si vous ne lui parliez latin; Jésus-Christ de même ne vous écoutera point lorsqu’il sera assis sur son tribunal, si vous ne parlez sa langue.
Apprenons, mes frères, ce langage si divin. Que le monde parle comme le monde. Parlons comme notre Roi. Parlons nous autres comme Dieu même a parlé. Si la mort de quelque personne vous afflige, prenez garde que la violence de la douleur ne vous arrache des paroles indignes d’un chrétien. Pleurez alors comme Jésus-Christ, puisqu’il a pleuré lui-même la mort de Lazare, et le crime de Judas. Si vous êtes menacé de quelques grands maux, et que la crainte vous saisisse, étudiez-vous alors à parler comme Jésus-Christ: car il a été lui-même dans la frayeur et dans le trouble, ayant pris sur lui volontairement ce qui nous arrive malgré nous. Dites comme lui : (7)
« Toutefois, mon Père, que tout ce que vous « voulez soit fait, et non pas ce que je veux n. (Matth. XXVI, 39.) Si vous pleurez, pleurez avec modération comme Jésus-Christ. Si vos ennemis ont conjuré votre perte, et que la tristesse vous abatte, imitez Jésus-Christ qui a bien voulu souffrir que ses adversaires conspirassent contre sa vie , et qui a dit dans un excès d’ennui
« Mon âme est triste jusqu’à mourir ». (Matth. XXVI, 35.) lI a voulu vous donner en sa personne un parfait modèle pour tous les états et tous les événements de cette vie, afin que vous vous teniez toujours dans les bornes qu’il vous a marquées, et que vous suiviez les règles qu’il vous a prescrites.
C’est ainsi que vous deviendrez la bouche du Fils de Dieu. C’est ainsi que vivant encore sur la terre, vous parlerez la langue du ciel, et que dans vos tristesses, dans vos émotions, et dans vos douleurs, vous marcherez sur ses pas, et vous vous conduirez par l’exemple de Jésus-Christ. Combien y en a-t-il d’entre nous qui désireraient d’être assez heureux pour voir le visage du Sauveur du monde? Et cependant nous pouvons si nous le voulons, non-seulement le voir, mais même le devenir.
Ne différons donc pas davantage un si grand bien. Jésus-Christ honorera plutôt d’un baiser adorable de sa bouche, ceux qui auront été humbles et doux, que les prophètes mêmes, puisqu’il a dit : « Que plusieurs lui diraient « en ce jour terrible: Seigneur, n’avons-nous « pas prophétisé en votre nom »? (Matth. VII, 22); et qu’il leur répondra : « Je ne vous connais point». (Num. XI, 3.) Il aimait au contraire tellement la bouche de Moïse, qui était le plus humble et le plus doux de tous les hommes, qu’il lui parlait familièrement comme un ami parle à son ami. Si donc votre bouche est semblable à celle de Jésus-Christ, vous ne commanderez pas seulement comme lui aux démons, mais vous commanderez encore aux flammes de l’enfer, et vous direz à cet abîme de feu ce qu’il dit à la mer agitée : « Tais-toi, calme-toi ». Vous passerez ainsi avec une grande confiance de la terre au ciel, pour y jouir éternellement des biens que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit est la gloire et la force dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il (8)