05 novembre 2006

La parabole du semeur


St Luc VIII, 5-15

5 Un semeur sortit pour semer sa semence. Comme il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin: elle fut foulée aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent.
6 Une autre partie tomba sur le roc: quand elle fut levée, elle sécha, parce qu'elle n'avait point d'humidité.
7 Une autre partie tomba au milieu des épines: les épines crûrent avec elle, et l'étouffèrent.
8 Une autre partie tomba dans la bonne terre: quand elle fut levée, elle donna du fruit au centuple. Après avoir ainsi parlé, Jésus dit à haute voix: Que celui qui a des oreilles pour entendre entende!
9 Ses disciples lui demandèrent ce que signifiait cette parabole.
10 Il répondit: Il vous a été donné de connaître les mystères du royaume de Dieu; mais pour les autres, cela leur est dit en paraboles, afin qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils ne comprennent point.
11 Voici ce que signifie cette parabole: La semence, c'est la parole de Dieu.
12 Ceux qui sont le long du chemin, ce sont ceux qui entendent; puis le diable vient, et enlève de leur coeur la parole, de peur qu'ils ne croient et soient sauvés.
13 Ceux qui sont sur le roc, ce sont ceux qui, lorsqu'ils entendent la parole, la reçoivent avec joie; mais ils n'ont point de racine, ils croient pour un temps, et ils succombent au moment de la tentation.
14 Ce qui est tombé parmi les épines, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole, s'en vont, et la laissent étouffer par les soucis, les richesses et les plaisirs de la vie, et ils ne portent point de fruit qui vienne à maturité.
15 Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole avec un coeur honnête et bon, la retiennent, et portent du fruit avec persévérance.





Un moine de l'Eglise d'occident



Chers frères et sœurs !

A la lecture de l’épître et de l’évangile de ce jour retenons avant toute chose que la foi ; tout comme la semence de la Parole de Dieu doit porter des fruits.
Mais si cette semence nous est donnée « gratuitement », il nous revient de savoir la recevoir et ; de la même manière qu’en agriculture ou en jardinage ; d’apprendre à lui préparer un terrain propice afin qu’elle germe, croisse, mûrisse et donne des fruits.
Autrement dit ; cette parabole est à considérer comme un appel qui nous est lancé ; un appel à notre responsabilité (donc à notre liberté) et de manière évidente un appel à la synergie, c'est-à-dire à la coopération avec le Seigneur.

Ce que le Christ nous enseigne aujourd’hui est la suite logique de ce qu’Il annonçait sur la montagne, à savoir «écouter la Parole et la mettre en pratique de façon que l’arbre porte des fruits » et ; comme nous pouvons le lire un peu plus loin dans l’Evangile de St Luc ; « qu’heureux sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la gardent ».

Le sort de la graine dépend d’où elle tombe ; rappel implicite qu’elle vient d’En-Haut ; donc qu’elle ne tombe pas toute seule d’elle-même, mais qu’elle est la résultante de l’action du semeur qui déploie son geste avec abondance et générosité.

Oui, tous nous recevons Sa Parole et suivant notre état intérieur notre cœur est tantôt semblable à une terre fertile, tantôt sec de la sécheresse de notre indifférence ou de nos angoisses ; tantôt envahi des ronces de certaines de ces futilités qui nous sont proposées à longueur de journées…

C’est dans ce sens que St Jean Baptiste exhortait explicitement les foules : « préparez le chemin », c'est-à-dire le terrain.
Car évidemment tout est question de terrain comme nous l’explique le Christ en commentant lui-même la parabole !

Trop souvent ; il nous faut bien l’avouer ; nous croyons que notre cœur est bien préparé et disposé à recevoir la Parole de Dieu…pour autant qu’elle corresponde à ce que notre ego préconise ; mais force est de constater que volonté divine et ego ne s’accordent en général pas très bien ! Pour le coup le terrain que l’on croyait disponible, travaillé, sarclé et labouré se retrouve en un rien de temps aride, encombré de ronces ou rocailleux…

Et pourtant rien n’est impossible au Seigneur : un infime mouvement d’ébauche de repentir ou de conversion suffit à rendre notre cœur plus disposé à la semence de la Parole. Il en résultera comme un retournement de situation : nous deviendrons alors semblables au grain jeté dans la terre n’ayant d’autre tâche que celle d’être en attente ; et être en attente c’est prier.
Il nous est alors donné de devenir des réceptacles de la lumière venue d’en haut et de la pluie bienfaisante et bénie, pour mourir à nous-mêmes ; mais étant sûrs de s’enraciner et de fructifier pour la plus grande gloire de Dieu et la vie du monde.

La loi et toute l’histoire d’Israël avertissent de ce rapport entre l’écoute de la Voix (la Parole de Dieu) pour l’accomplir, et l’abondance ou non de la récolte.
Qu’il nous suffise de re-méditer en ce sens certains passages de l’Ancien Testament ; tel le livre du Deutéronome (chap XXVIII) ou bien le livre d’Agée (I-5 et suivants) ou encore le livre de Jérémie (XII-13) pour ne citer que ceux-ci ; et l’on comprend mieux que l’infidélité porte peu de fruits en laissant sur sa faim celui qui abandonne l’Alliance promise et proposée par Dieu. Et pourtant ; redisons-le ; le miracle est que aussi longtemps que l’homme puisse en abuser, Dieu est toujours prêt à dispenser Sa grâce :
Sa parole –le Christ- subsiste éternellement, toujours donnée, toujours prête à multiplier ; elle ne demande d’ailleurs que cela, comme le moindre des végétaux dont c’est la loi constitutive, de par la Création.

Dans cette parabole ; dans la globalité du contexte biblique ; se dégage donc une signification extrêmement générale sur le sens de la Création que l’on peut résumer en 3 points :
- Que le terrain doit être préparé pour l’accueil de la semence jetée par le Seigneur.
- Que le Royaume de Dieu est la présence de Dieu dans le monde et en chacun de nous.
- Que la semence pour germer a besoin d’un terrain et que la Création est la condition de ces semailles divines.

En effet ; dès le paradis terrestre il y a eu l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal ; la terre où l’être humain a prit naissance était un jardin florissant et fructueux ; mais quand après le péché Adam et Eve ont été exclus de l’Eden, ils se virent condamnés à vivre dans un désert ne produisant que ronces et épines…

Or Dieu, rappelons le, est un semeur généreux : A la grandeur du premier ensemencement de la création dans le champ du monde, répond l’humilité de la seconde semence qu’est l’Incarnation du Verbe –le Christ- ; semence qui grandit pour nous donner l’arbre de la Croix et comme fruit, le Sang de la Nouvelle Alliance ; tout comme nous savons que dans cette continuité l’Evangile aussi est semence divine et que c’est de cette semence qu’est née l’Eglise.

Que conclure ?

Que c’est en nous que doit débuter toute réforme. Quand bien même nous serions en apparence totalement secs et envahis de multiples choses nous paralysant intérieurement ; il nous est toujours loisible de nous examiner nous-mêmes et de redresser quelque chose en nous.

Oui ; ce regard de vérité sur nous-mêmes est libérateur et féconde à notre insu le germe de la Parole ; sans que nous en soyons forcément conscients.

Comme toute réforme va de l’intérieur vers l’extérieur nous découvrirons bien vite que les circonstances externes qui nous pesaient jusque là s’amélioreront, alors que nous leur prêtions tous les prétextes de notre mal-être intérieur ; nous découvrirons aussi combien le « tourner en rond » de notre égocentrique égoïsme est néfaste pour notre vie spirituelle ; combien il est vivifiant de rentrer dans une dynamique d’ouverture et de dépouillement du « vieil homme » qui s’accroche à nous !

Agir de la sorte c’est en effet libérer la Puissance Divine jusqu’alors emprisonnée et retenue ; ainsi une fois libérée cette Puissance opère aussitôt des miracles dans le quotidien de nos vies.
Alors ; en vérité ; notre deuil se trouvera changé en allégresse, notre pauvreté deviendra richesse et nos ténèbres intérieures deviendront lumière pour le monde.

Chers frères et sœurs ; soyons intimement convaincus de la miséricorde de Dieu ; Lui qui n’a de cesse de frapper à la porte de notre cœur pour y faire Sa demeure et croître en nous ; comme nous le rappellent ces paroles du Livre d’Isaïe (XXX-18) qui se doivent de trouver un écho vibrant en nous: « Le Seigneur compte vous faire grâce… Il donnera la pluie pour la semence que tu auras semée dans la terre, et le pain que produira la terre sera riche et substantiel ! »

Amen !



Homélie prononcée par le père Boris le 24 octobre 1999 au Monastère de Notre-Dame-de-toute-protection, à Bussy.



Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.


Nous venons d'entendre la parabole du semeur qui sème sa semence sur différents sols. Or le Seigneur Lui-même nous donne une explication de cette parabole : Ici, le semeur, c'est Dieu, Lui-même, qui sème dans les cœurs humains. Et il y a toujours le risque énorme que cette semence ne se perde, en se desséchant ou en étant emportée par l'ennemi.


En résonance, on trouve, dans l'évangile de saint Jean, comme une continuation de cette parabole du semeur lorsque le Seigneur dit: « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il demeure seul. S'il meurt, il porte un fruit multiple. »1 C'est une parole extraordinaire dans laquelle le Seigneur ne s'identifie plus au semeur, mais au grain de blé, c'est-à-dire l'Agneau. De même qu'une seule goutte d'eau peut refléter le ciel, les étoiles et l'immensité du monde, de même ce grain de blé contient en lui toute la plénitude de la vie divine. C'est le Seigneur Lui-même qui entre dans la terre de nos cœurs pour y mourir et y donner un fruit nombreux.


La descente du Seigneur dans les cœurs humains est l'image de son abaissement, de sa kénose, elle manifeste ce risque énorme que prend le Créateur du ciel et de la terre en affrontant la liberté de l'homme, le risque d'en être rejeté ou d'en être ignoré. C'est pourquoi le Seigneur se compare, ailleurs, à un mendiant qui frappe à la porte : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre, j'entrerai et je dînerai près de lui et lui près de moi. »2 Ce risque que prend le Seigneur est la continuation de celui qu'Il a pris lorsqu'Il a créé le ciel et la terre, car le ciel et la terre ont été créés pour l'homme qui en est le couronnement, le prophète, le prêtre et le roi. L'univers entier a été créé en vue de la vie divine que Dieu veut communiquer à Sa créature.

Dieu descend pour offrir Sa grâce à l'homme, Dieu descend jusqu'à l'homme dans l'humilité, comme un petit enfant innocent, comme un serviteur qui lave les pieds de ses disciples.3
Encore et encore, nous voyons dans les évangiles les signes de l'humilité qui font la véritable grandeur de Dieu. Le Seigneur sème Sa parole dans les cœurs humains. Ou plus exactement, Il descend Lui-même, Il entre dans les cœurs par Sa parole, par Sa révélation. Il pénètre dans les cœurs humains pour les transformer peu à peu. Cette transformation est le fruit de notre vie entière.

Nous sommes appelés à devenir cette bonne terre qui reçoit la semence. Une terre fertilisée par le feu, par l'eau et le souffle de l'Esprit Saint. Telles sont les trois grandes images de l'Esprit, et. Justement, la terre a besoin de ces trois éléments pour devenir fertile et féconde, pour accueillir la semence divine qui vient mourir en nous, pour la faire germer et fructifier. Il y a différentes manières de mourir. Il y a le grain qui meurt par dessèchement. Mais ce n'est pas de cette mort que le Seigneur parle. La mort en vérité, la mort en esprit, la mort en Dieu, c'est mourir au vieil homme, c'est mourir pour donner la vie. C'est la loi de la nature, la loi de notre vie.

Dans la mesure où le Seigneur, comme un grain de blé vient mourir en nous, Il s'assimile à nous et nous nous assimilons à Lui. Alors c'est nous qui devenons cette parole, cette semence qui grandit et se multiplie. A notre tour, nous répandons la semence, nous la semons dans d'autres cœurs. A l'image du Seigneur, nous devons alors, nous aussi, mourir pour renaître.


Puissent cette parabole du semeur et la phrase du Seigneur sur le grain de blé qui meurt être des paroles illuminatrices pour nous apprendre à nous oublier nous-mêmes, pour accueillir cette semence et devenir, nous-mêmes, un blé multiple, un pain chauffé, doré au feu de Dieu pour devenir, tous ensemble, le pain de l'Eucharistie que le Seigneur nous a donné afin que le monde puisse s'en nourrir et y trouver la vie.

Amen !

1 Cf. évangile selon saint Jean XII, 24.
2 Cf. Apocalypse III, 20.
3 Cf. évangile selon saint Jean XIII, 1-11.