11 novembre 2006

Le mauvais riche et le pauvre Lazare



Luc XVI ; 19-31

19 Il y avait un homme riche, qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour menait joyeuse et brillante vie.
20 Un pauvre, nommé Lazare, était couché à sa porte, couvert d'ulcères,
21 et désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche; et même les chiens venaient encore lécher ses ulcères.
22 Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli.
23 Dans le séjour des morts, il leva les yeux; et, tandis qu'il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein.
24 Il s'écria: Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau et me rafraîchisse la langue; car je souffre cruellement dans cette flamme.
25 Abraham répondit: Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et que Lazare a eu les maux pendant la sienne ; maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres.
26 D'ailleurs, il y a entre nous et vous un grand abîme, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous, ou de là vers nous, ne puissent le faire.
27 Le riche dit : Je te prie donc, père Abraham, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père; car j'ai cinq frères.
28 C'est pour qu'il leur atteste ces choses, afin qu'ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourments.
29 Abraham répondit: Ils ont Moïse et les prophètes; qu'ils les écoutent.
30 Et il dit : Non, père Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils se repentiront.
31 Et Abraham lui dit: S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu'un des morts ressusciterait.



Un moine orthodoxe de l'Eglise d'occident

Chers Père, Mères, frères et sœurs en Christ !


Pour bien comprendre le passage évangélique que nous venons d’entendre il est important de ne pas oublier qu’il nous est rapporté sous forme de parabole ; c'est-à-dire comme récit simple et imagé visant à mettre en évidence une réalité spirituelle concrète : notre propre réalité spirituelle.
Dans cette parabole du mauvais riche et du juste Lazare ; les enfers et le Royaume des Cieux nous apparaissent d’un prime d’abord comme une « toile de fond », un « décor » pourrait-on dire ; alors que dans les faits ils sont la trame de cette péricope tout autant qu’ils sont la trame de toute vie spirituelle authentique, et c’est précisément en cela que nous touchons au cœur même du message salvateur du Christ.


Le mauvais riche nous est décrit comme un homme aimant la pompe et les festins, vêtu « de pourpre et de lin fin » ; ce qui laisse sous-entendre qu’il était préoccupé entre autre chose par son apparence extérieure et sa réputation -autrement dit qu’il était plein d’orgueil et de suffisance- ; alors qu’à côté de lui se tient un pauvre misérable du nom de Lazare, couvert de plaies et qui se serait bien contenter des miettes tombant de la table du riche.
A vue humaine c’est un paradis pour le riche et un enfer pour le pauvre Lazare… et pourtant l’ordre des choses est renversé par delà la mort, une fois ceux-ci confrontés à la Vérité, c'est-à-dire se révélant dans la vérité de leur être spirituel :

Ce qui était vécu avec légèreté et insouciance comme un paradis devient un enfer ; et ce qui était infernal dans l’intensité, la durée et la douleur devient béatitude…


Nous aussi dans nos vies spirituelles, n’avons-nous pas parfois expérimenté cette descente aux enfers nous renvoyant à notre réalité propre de pécheurs, c'est-à-dire à notre orgueil ?

Nous le savons, Saint Silouane en a fait l’expérience ; l’expérience non seulement de cette plongée dans l’enfer mais aussi de cette « station » prolongée aux enfers, dans l’espérance et non dans le désespoir ; ce qui est très important. En lui nous avons un maître sûr pour cette « théologie appliquée » de l’enfer qui est sans aucun doute la meilleure réponse donnée aujourd’hui par le Christ au monde contemporain.

« Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas ! » avait entendu Saint Silouane dans son cœur au cours d’une de ces nuits passées en prière dans sa cellule, en lutte contre les démons et l’orgueil ; « Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas ! », une petite phrase en apparence toute de contradiction mais qui nous enseigne qu’à tout instant –pour autant que nous coopérions avec Lui- le Christ descend aux enfers ; dans notre propre enfer ; dans l’enfer de nos passions et de nos dilemmes intérieurs ; le Christ y descend pour s’y révéler en tant qu’Amour et faire briller la lumière de la résurrection et de la connaissance.

S’Il est descendu en enfer pour arracher Adam et Eve de l’emprise de la mort c’est qu’Il en tire également l’humanité entière ; ce que le saint Starets appelait « l’Adam total ». Ainsi; comme cela a été le cas pour Saint Silouane après la traversée de l’enfer, la conversion devient possible par la puissance de l’Esprit-Saint ; l’expérience de l’enfer nous ouvrant par conséquent la voie de l’humilité, à la condition toutefois que nous ne laissions pas sortir notre orgueil de ce feu infernal ; auquel cas il y gagnerait en vigueur...ce qui n’est bien évidemment pas le but de la manœuvre !

Avec ce « cœur broyé » qui est évoqué dans le psaume 50, nous expérimenterons alors la miséricorde de Dieu ; l’enfer ne sera plus pour nous une destination mais un passage, puisque la vocation de toute personne ; c'est-à-dire d’être créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu » ; notre vocation commune n’est donc pas de demeurer en enfer, mais de librement accepter d’y séjourner temporairement pour atteindre notre but final qui n’est rien d’autre que l’Union à Dieu, dans Son Royaume, par la Résurrection du Christ.



Chers frères et sœurs ; ne nous décourageons pas ! Au contraire, persévérons et ayons toujours quelque part dans la mémoire de notre cœur que puisque le Christ est descendu aux enfers c’est bien la preuve que même dans les ténèbres de l’ignorance le Dieu-Amour y est présent, et que c’est cet Amour auquel nous sommes confrontés qui nous fait souffrir car nous refusons consciemment ou inconsciemment d’y adhérer !

Ainsi donc ; à la suite de Saint Silouane, soyons des témoins vivants d’une foi qui ne se confie qu’en Dieu ; soyons des témoins silencieux, paisibles et joyeux de l’enfer que nous pouvons vivre par l’Amour du Christ ; cet enfer dans lequel Il ne cesse de descendre ; cet enfer qui ne débouche en aucun cas sur le néant mais bel et bien sur l’espérance !


Amen !


Un moine de l'Eglise d'orient

Cette parabole est d'un tout autre ton que les récits de guérison et de miséricorde si fréquents dans l'évangile de Luc.
Elle est un sévère avertissement. La jouis­sance égoïste en ce monde aura pour sanction la souffran­ce dans l'autre monde ; par contre, le pauvre sera dans l'abondance.
Le sens général de la parabole est si clair,si simple, qu'il n'a besoin d'aucune explication. Mais
quelques points de détail méritent d'être considérés de plus près.

« Un pauvre... gisait près de son portail...».
Le monde de la misère et de la souffrance n'est pas un mon­de irréel, lointain. Dieu lui-même dépose à ma porte, à ma propre porte, cette misère; il ne me demandera pas si j'ai eu pitié, d'une manière abstraite, de toute cette misère lointaine que je ne puis soulager, mais il me de­mandera ce que j'ai fait pour aider « un pauvre », un mendiant concret, présent, bien réel, «du nom de Lazare», qu'il avait spécialement choisi afin que j'exerce envers lui la miséricorde. Ce Lazare peut avoir besoin d'argent, de soins, d'aide morale : peu importe. Ce qui importe, c'est que mes yeux l'aperçoivent, lui qui gît devant ma maison (c'est-à-dire: lui que Dieu m'a donné spécialement l'oc­casion de rencontrer), et que je fasse quelque chose pour lui. Remarquons que le riche ne semble pas avoir été par­ticulièrement dur de cœur ou cruel: il a péché par négli­gence, il n'a pas fait attention à Lazare. Dieu ne me re­prochera pas nécessairement d'avoir fermé mon cœur aux malheureux : il me reprochera d'avoir été trop négligent et trop égoïste pour penser à le leur ouvrir.

Le contraste entre la fin de ces deux vies est saisissant: « Le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d'Abra­ham. Le riche aussi mourut et on l'enterra». L'un a été « emporté par les anges»; l'autre a été « enterré », ­oh ! sans doute avec la pompe qui convient à un homme riche, mais avec tout ce que le mot « enterré» comporte de définitif et de contraire à une assomption entre des mains angéliques. « Emporté par les anges» - ou «en­terré» : ces deux destins, dans un sens spirituel, ne sont pas seulement les destins des morts, mais, déjà en cette vie, un homme peut se laisser porter vers Dieu par les anges ou, il peut se laisser ensevelir, recouvrir par cette terre à laquelle seule il est attaché.


L'opposition entre les deux destins est fortement soulignée: « Entre vous et nous a été fixé un grand abîme... qu'on ne traverse pas...». S'agit-il ici d'une affirmation de l'irrévocabilité et de l'éternité des peines des « damnés» ? Nous ne voudrions pas toucher en ce moment à cette question théologique que nous aurons l'occasion de retrouver. Mais nous ob­servons que le riche, même dans l'Hadès (quelle que soit la nature de cet Hadès), ne semble pas repentant ; nous ne voyons pas ici que Dieu refuse de faire miséricorde à un homme qui maintenant regretterait son ancienne attitude envers Lazare et condamnerait son propre égoïsme : d'un tel regret, il n'y a nulle trace. Ce que nous lisons, c'est seulement que le riche désire, d'une part être soulagé dans les tourments qu'il endure, et, d'autre part, éviter ce sort à sa propre famille. Remarquons enfin cette ex­pression: « ... de même ils ne seront pas persuadés ». Dieu veut que nous soyons « persuadés» de nous repen­tir : la repentance qu'il désire n'est le fruit ni de l'accep­tation d'un autorité extérieure, ni de la stupeur que cau­serait un signe miraculeux tel que la résurrection d'un mort (et, d'ailleurs, quand Jésus ressuscita des morts un autre Lazare, les Pharisiens ne se repentirent point). Cette repentance doit être le fruit d'une persuasion inté­rieure, d'un long