04 avril 2007

Grand mercredi

Matthieu 26 ; 6-16

6 Comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux,
7 une femme s'approcha de lui, tenant un vase d'albâtre, qui renfermait un parfum de grand prix ; et, pendant qu'il était à table, elle répandit le parfum sur sa tête.
8 Les disciples, voyant cela, s'indignèrent, et dirent : A quoi bon cette perte ?
9 On aurait pu vendre ce parfum très cher, et en donner le prix aux pauvres.
10 Jésus, s'en étant aperçu, leur dit: Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? Elle a fait une bonne action à mon égard ;
11 car vous avez toujours des pauvres avec vous, mais vous ne m'avez pas toujours.
12 En répandant ce parfum sur mon corps, elle l'a fait pour ma sépulture.
13 Je vous le dis en vérité, partout où cette bonne nouvelle sera prêchée, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu'elle a fait.




14 Alors l'un des douze, appelé Judas Iscariot, alla vers les principaux sacrificateurs,
15 et dit: Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Et ils lui payèrent trente pièces d'argent.
16 Depuis ce moment, il cherchait une occasion favorable pour livrer Jésus.




Méditation d'un moine de l'Eglise d'orient

«A quoi bon ce gaspillage ?»

Le mercredi-saint place devant nous le contraste en­tre deux figures, deux états d'âme. Il est consacré au rappel de deux actes : l'acte de la femme qui vint répan­dre un vase de parfum sur la tête de Jésus, à Béthanie, et l'acte du disciple qui trahit son Maître. Ces deux actes ne sont pas sans un certain lien. Car le même disciple avait protesté contre la prodigalité apparente de la femme.

Après les grandes complies, le soir du mardi, on cé­lèbre, comme les deux jours précédents, l' «office du Fian­cé». Les chants font plusieurs allusions au «disciple in­grat» et à la «femme adultère». Toutefois l'évangile des matines (Jean 12:17-50) ne se rapporte pas à l'épisode de
Béthanie. Il nous dit comment, au milieu d'un de ses der­niers entretiens avec la foule, Jésus demande au Père : «Glorifie ton nom». (Quel modèle de prière filiale, désin­téressée, adorante et aimante cette brève phrase nous donne !). Une voix venant du ciel dit : «Je l'ai glorifié et je le glorifierai à nouveau». La Passion et la Résurrec­tion de Jésus seront cette glorification. Quelques phrases de cet évangile annoncent directement la Passion : «Je vous le dis, si le grain de blé ne meurt, il reste seul ; s'il meurt, il porte beaucoup de fruit... C'est maintenant le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce mon­de va être jeté bas ; et moi, élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi».

A la liturgie des présanctifiés, le mercredi, nous con­tinuons la lecture d'Ezéchiel (2:3-3:3) : Dieu commande au prophète d'aller sans crainte parmi les hommes et de leur répéter ce qu'il aura entendu de la bouche divine. Nous continuons aussi la lecture de l'Exode (2:11-22) : Moïse, ayant tué un Egyptien qui frappait un Hébreu, s'enfuit au pays de Midian où il se marie. Nous conti­nuons enfin le livre de Job (2 :1-10) : Satan demande à Dieu la permission d'éprouver Job dans sa chair même, mais Job, couvert de plaies, se refuse, malgré les provocations de sa femme, à maudire le Seigneur. L'évangile (Matthieu 26:6-16) relate l'épisode de l'onction à Béthanie. Une fem­me, apportant un parfum précieux dans un vase d'albâ­tre, le verse sur la tête de Jésus. Les disciples s'indignent : «A quoi bon ce gaspillage ? Cela pouvait être vendu cher et donné aux pauvres». Jésus répond par un éloge de l'acte de la femme : «Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous mais moi vous ne m'aurez pas toujours. Si elle a répandu ce parfum sur mon corps, c'est pour m'ensevelir qu'elle l'a fait». Judas Iscariote, l'un des douze, va alors trouver les prêtres : «Que me donnè­rez-vous et je vous le livrerai ?». Les prêtres convien­nent de donner à Judas trente pièces d'argent.



Jésus a approuvé l'acte de la femme, d'abord parce que cet acte était un hommage anticipé rendu à sa mort et à sa sépulture, et ensuite parce que c'était l'expression d'un grand amour qui pouvait légitimement s'adresser à Jésus encore vivant pour un peu de temps plutôt qu'aux pauvres qui seront là toujours. Mais pouvons-nous trou­ver dans ces paroles de Jésus une direction précise pour notre propre action ? Il semble que oui. D'une part, Jé­sus a béni la prodigalité de la femme en raison de cer­taines circonstances très particulières : la présence visi­ble de Jésus parmi les hommes et la proximité de sa sé­pulture. Mais, maintenant que ces circonstances n'exis­tent plus, le devoir est différent. Sans condamner la mi­se de la richesse et de la beauté au service de Dieu, c'est surtout dans les membres souffrants du corps mystique que nous honorerons la Tête. Il serait injurieux envers Dieu de bâtir des églises somptueuses tout en laissant des pauvres mourir de faim. D'autre part, l'épisode de Béthanie a une signification plus générale que l'offrande d'un vase de parfum. Nous pouvons être prodigues en­vers Jésus en lui consacrant, non seulement des biens ma­tériels, mais des biens invisibles : par exemple, une vie de prière, une vie ascétique ou contemplative, quelque sa­crifice coûteux et en apparence inutile. Le monde pro­testera comme les disciples protestèrent à Béthanie : à quoi bon cette prodigalité, ce gaspillage? Une vie nor­male consacrée aux hommes ne serait-elle pas plus uti­le ? Et cependant l'appréciation des «valeurs de perte» demeure le nerf de toute religion vraiment vivante. Si nous avons le devoir de faire passer l'aide à des détresses concrètes et criantes avant le luxe culturel, nous avons le droit, en ce qui nous concerne nous-mêmes, de verser le parfum invisible sur la tête de Jésus, c'est-à-dire de «perdre» pour lui (et en réalité de gagner) le meilleur de notre vie. Notre cœur est le premier vase de parfum que nous devons briser devant lui, pour lui.




Le cas de Judas est si terrible et si obscur que nous n'osons essayer de l'expliquer et d'y pénétrer. Mais re­tenons une phrase de l' «office du Fiancé» du mercredi­ saint : «Le disciple ingrat, que tu avais rempli de ta grâce, l'a rejetée...». Il est possible de rejeter la grâce, après en avoir été rempli. Et combien y a-t-il de chrétiens qui n'ont pas, au cours de leur vie, dit à leur passion domi­nante, -la chair, l'argent, l'orgueil- : «Je suis prêt à te vendre Jésus. Dis-moi quelles jouissances tu me procure­ras, et je te le livrerai ?».





Dans beaucoup d'églises, le sacrement de l'onction est conféré, l'après-midi ou le soir du mercredi-saint, à tous les fidèles qui désirent en recevoir un soulagement spirituel ou corporel.