18 février 2007

Dimanche de l'Exil d'Adam, du Pardon






Matthieu VI, 14-21


14 Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi;
15 mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.
16 Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se rendent le visage tout défait, pour montrer aux hommes qu'ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
17 Mais quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage,
18 afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
19 Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent;
20 mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent.
21 Car là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur


Un moine orthodoxe de l'Eglise d'occident

Chers frères et sœurs !

Nous voilà arrivés au seuil du grand carême, cette « sainte quarantaine » comme le disent les pères, ce temps de jeûne qui va nous acheminer étape par étape à la Pâque du Seigneur, jusqu’à la contemplation de Sa Résurrection.

Si à vue humaine, le carême peut s’avérer effrayant ; de par l’effort qui va nous être demandé ainsi que par le ton de repentance des textes liturgiques qui vont nous accompagner tout au long de ces quelques semaines ; spirituellement il en est tout autre.

En effet ; devons nous nous inquiéter ou avoir peur d’aller à la rencontre du Seigneur ; assurés que nous sommes du bien fondé de la tradition de l’Eglise, cette tradition pluri-séculaire qui tout en étant exigeante n’en est pas moins souple, ouverte et libre ?

Le carême n’a de visée que de nous dynamiser dans notre rencontre avec Dieu, de nous recentrer sur Lui et Lui seul ; par conséquent d’élargir notre horizon en lui donnant une dimension spirituelle ; de sorte que nous ne devenions plus le centre de notre vie, mais que par nous, Dieu en devienne précisément le but.

Pour ce faire ; trois moyens nous sont proposés : le jeûne, la prière et le pardon.
En ce qui concerne le jeûne, prenons garde de ne voir en celui-ci que l’observance scrupuleuse de prescriptions alimentaires ! Si diététiquement parlant cela ne peut pas nous faire de mal ; spirituellement, le danger est de s’en enorgueillir comme le Pharisien et donc d’être aux antipodes de ce que le Christ attend de nous ; à savoir laver son visage et parfumer sa tête, c'est-à-dire de se purifier de nos souillures orgueilleuses et de s’imprégner d’une agréable odeur de spirituelle suavité, autrement dit de se sanctifier.

Si le jeûne est à juste titre assimilé à la non consommation temporaire de certains aliments, il n’en demeure pas moins qu’il se décline aussi à bien d’autres modes : tel le jeûne de la parole ainsi que nous le rappelle le psaume 140 : «Place seigneur une garde à ma bouche ; et une porte fortifiée à mes lèvres ! », ou bien le jeûne de l’image en nous abstenant par exemple d’un abus passif de télévision au détriment de la lecture spirituelle d’un ouvrage qui aurait pu nous être conseillée par notre père confesseur ; ou encore le jeûne d’activités en tout genre, débordantes, encombrantes et somme toute pas forcément indispensables…

En bref n’hésitons pas (au moins pendant 40 jours ; si ce n’est tout au long de notre vie !) n’hésitons pas à privilégier voire même à provoquer ces moments d’intimité avec le Seigneur afin d’amasser non des trésors périssables, mais des trésors inépuisables dans notre cœur, dans ce cœur dont Saint Théophane le Reclus nous dit que « c’est là que nous devons vivre », que « c’est là que se trouve la vie ».

La prière nous y aidera ; même si nous avons à traverser des périodes de troubles ; des moments de doutes…

Car il est évident; et il nous faut l’accepter comme « règle du jeu » pourrait-on dire ; il est évident que cette prière doit s’actualiser dans la monotonie parfois déconcertante de notre quotidien, dans ce désert inhérent à notre condition humaine, désert qu’il nous est souvent demandé de traverser… Ce qui importe avant tout étant notre persévérance au jour le jour ; car c’est dans les besognes parfois harassantes, dans les ténèbres de notre psychisme fragilisé que se scelle petit à petit notre union à Celui que nos cœurs et notre être tout entier cherchent et désirent plus que tout. Cette persévérance qui s’actualisera dans le silence –qui, à tort, est souvent pris par nous comme une absence de Dieu-, ce silence intérieur qui nous permettra d’écouter le Seigneur et d’entendre ce que Sa volonté désire à notre endroit.
Et qu’est Sa volonté sinon celle de nous donner toute chose ; sans mesure ; avec cet impatient désir qu’Il a de nous combler ?!

Et le carême nous comblera de grâces ; d’autant plus que tout à l’heure nous nous demanderons pardon, nous échangerons ce pardon ; ce pardon qui libère, ce pardon qui pacifie, ce pardon qui est le gage de notre salut puisqu’il est réconciliation avec soi-même, réconciliation avec le prochain et par conséquent réconciliation avec Dieu.

Même s’il est parfois des pardons qui peuvent prendre toute une vie, le pardon s’il est personnellement vécu et actualisé peut avoir des répercussions bien au-delà de ce que notre intellect peut saisir… Puisque toute réforme va de l’intérieur vers l’extérieur, puisque tout commence dans notre propre coeur ; avec foi et audace osons croire et demander à Dieu le pardon pour le monde ; pour qu’à notre suite, chaque être humain, chaque nation, chacun à sa propre échelle sache pardonner…en quelques instants la face du monde peut s’en trouver changée !

C’est dire si cette dimension du pardon n’est pas à négliger ! Vivons la en profondeur, en vérité, dans l’amour et le carême qui vient ainsi que tous les jours qui le suivront seront transfigurés pour la plus grande gloire de Dieu !

Qu’Il nous accompagne, nous guide, nous fortifie toujours plus ; non pas avec des nourritures périssables, mais par une manne toute céleste que nos cœurs préparés pourront dignement accueillir !
Amen !

Un moine de l'Eglise d'orient


Ce dimanche est le quatrième des dimanches de pré­paration au Carême. Il clôt cette période de préparation. il en est le dernier jour. A partir de demain lundi, nous serons dans le Carême lui-même. Le présent dimanche porte le nom de «dimanche de l'abstinence de laitages», parce que, à partir de demain, la tradition de l'Eglise est de s'abstenir de lait, de beurre et de fromage.
Le samedi qui précède ce dimanche est dédié à la mé­moire des saints et saintes qui se sont livrés à la vie ascé­tique. Au seuil du Carême, nous les saluons comme des inspirateurs et des intercesseurs dans la voie difficile de la pénitence.



L'épître de Saint Paul aux Romains (13:11 - 14:1-4), lue à la liturgie du dimanche, nous exhorte à sortir des ténèbres, à revêtir l'anneau de lumière, à marcher en plein jour, fuyant l'ivrognerie, la débauche et les désirs de la chair. Paul relie ce thème de la chair au thème du jeû­ne. L'un croit qu'il peut manger de tout; un autre ne mange que des légumes. Que celui qui mange ne méprise point celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge point celui qui mange. Qui es-tu pour juger un autre? Toi-même et cet autre, vous êtes sous la dépendance du même Maître.


L'évangile de la liturgie, tiré de Saint Matthieu (6:14-21)", débute par le précepte du pardon : «Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos offenses». Le fait que l'Eglise ait choisi cette phrase pour introduire l'évangile du jour montre qu'elle entend faire du pardon l'idée dominante de ce dimanche. Il est vrai que tout le reste de l'évangile du jour parle du jeûne ; mais la particule grecque qui unit les versets relatifs au jeune aux versets relatifs au pardon semble assigner aux premiers une position de dépendance par rapport aux seconds. Le Seigneur Jésus recommande à ceux qui jeûnent de ne pas se donner un air sombre et une mine défaite, comme font les hypocrites pour qu'on voie qu’ils jeûnent. «Toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage». Le Père, qui voit dans le secret, devant tous. Que ton trésor et ton cœur soient, non sur la terre, mais dans le ciel.


Les chants des vêpres et des matines opposent la béatitude du paradis à l'état misérable de l'homme après la chute. Mais Moïse, par le jeûne, a purifié ses yeux et les a rendus capables de la vision divine. De même, que notre jeûne, qui durera quarante jours, comme celui de Moïse, nous aide à réprimer les passions de la chair, et nous permette « d’avancer doucement sur la voie céleste ». Remarquons ce mot : « doucement ». Notre pénitence ne doit pas être une chose lourde et pesante. Nous devons traverser ce Carême d’une manière légère et aérienne, qui nous apparente en quelque sorte aux anges.






Père Alphonse et Rachel

Gorze, Février 2007

Chers Amis,




La splendeur des mystères que nous contemplons depuis Noël a mis en lumière la racine de notre désir. C’est lui qui nous définit. Or nous ne voulons secrètement qu’une seule chose : être pleinement heureux !

Cet appel puissant est à l’origine de tout, de tout ce que nous sommes et de tout ce que nous faisons. Le seul sens de la vie, c’est d’y répondre à chaque instant.


Mais cela suppose, nous l’avons dit souvent, un arrachement, de vraiment vouloir sauter hors de cette vieille vie par une ascèse exigeante. Est-ce que je le veux à tout prix ? C’est à cette vérification que m’invite l’Eglise dans quelques jours, durant ce temps de Carême, qui doit nous conduire vers un total renouveau : la résurrection pascale.



Un seul remède : une double décision. D’abord celle de suivre le Christ et Lui seul, ensuite celle, motivée par la première, de crucifier nos passions. De la fermeté de cette décision dépend toute la discipline ascétique et particulièrement la focalisation de notre être sur un seul point, l’attention.Tant que cette décision n’est pas complète et totale chez l’homme, il n’y a aucune garantie de fidélité au chemin qu’il veut prendre ou de non-trahison, il reste englué dans des aspirations confuses et contradictoires. La décision profonde est comme l’épée flamboyante entre les mains du chérubin gardant le paradis ; elle dépiste et discerne, elle barre la route, non seulement aux passions, mais à tout désir mauvais, toute envie par lesquels le démon cherche à pénétrer dans le coeur. Cette décision chèrement acquise, par une sorte de coup de force rempli de grâce, situe l’homme dans une perspective unique où il s’est ressaisi tout entier.


Désormais, il connaît à chaque instant l’exigence qui doit passer avant toutes les autres et où sont les priorités. Il a conscience de vivre un choix décisif et tout s’organise autour de cette visée, s’approfondit dans cet effort. Cette décision, qui est une Pâque, est aussi le sens le plus profond du Sacrifice, elle fonde le Martyr du chrétien et forge aujourd’hui dans le secret son vrai visage d’éternité. Dans ce sens, suivre le Christ c’est prendre sa croix pour crucifier tout ce qui ne concourt pas à cette décision. Ce tout a en fait une racine unique, car tous les démons viennent de l’amour de soi ou de l’orgueil.Il ne s’agit pas, dans l’abnégation ou le renoncement, d’une ascèse de souffrance et de mort. Si on les accepte c’est pour les traverser.



Souffrir, mais pour trouver la joie, mourir mais pour entrer dans la Vie ! Ascèse de transfiguration, alors que les passions me défigurent et me jettent dans une voie sans issue, dans une souffrance absurde et une mort définitive…Celui qui, dans la méditation, s’est laissé saisir par le Christ et a goûté quelque chose de sa Joie ne s’enfermera plus dans le plaisir de ses appétits égoïstes, qui sentent l’ordure (Ph 3,8).


Ce renoncement est loin d’une brimade de nos tendances ou d’une jugulation de nos désirs, mépris parfois pervers du monde pourtant créé par Dieu… Il y a de ces ascèses tristes mais qui donnent de tristes ascètes ! Ce ne sont pas mes tendances ou désirs qui sont mauvais, c’est leur orientation. Où vont-ils ? Que cherchent-ils ? Moi ! Le plaisir pour lui-même, fermé, encapsulé dans l’enivrement ! Au lieu de les refouler dans le renoncement moralisant, il faut s’installer au coeur de nos désirs et tendances, et là, découvrir comment en réalité ces plaisirs sont une prison pour moi, un enchaînement qui n’ouvre qu’au désespoir du non-sens toujours recommencé… Mes désirs et tendances sont temples de l’infini, rien d’autre ne pourra jamais les satisfaire. Ce constat est un pas important sur le Chemin de la maturité. Là aussi je retrouve alors l’unité : au fond je n’ai qu’un désir, qu’une tendance, c’est de rencontrer l’infini. Alors, du fond de mon être, il faut aller jusqu’au fond des choses : refuser la surface illusoire du plaisir extérieur voulu pour lui-même et rejoindre dans leur profondeur une tout autre expérience que celle de l’autosatisfaction.



Ainsi le moindre verre de vin peut être l’occasion d’une noyade du petit moi ou sensation du Divin… La relation sexuelle être la dernière des pornographies ou expérience de la Transcendance la plus bouleversante… Le simple regard, être adultère dans le désir ou contemplation… Quoi que vous fassiez, tout, dit saint Paul, peut révéler la gloire de Dieu si c’est elle que vous cherchez ! La Gloire de Dieu, c’est sa Présence en tout, sensible et offerte. « Dieu devient dés lors tout pour toi, car il est pour toi le tout des choses que tu aimes » (saint Augustin).



Cette perspective nous introduit dans un nouveau style de vie. Se transformer soi-même de sorte que tout endroit, toute situation ou activité devienne une occasion pour nous d’entrer en contact avec notre mystère profond ou le mystère des choses et des personnes que nous approchons. Le quotidien, l’extérieur devient alors peu à peu une source intérieure, un espace de nouvelles découvertes, et du geste mécanique, apparemment sans intérêt, peut jaillir une transformation surprenante de l’homme tout entier. Il sort du cercle infernal et clos de la monotonie quotidienne. Le Feu des passions ainsi libérées de leur retour sur soi se focalise maintenant avec autant de violence et d’exclusive sur leur seul Bien : le Christ. Elles savent : « Le Royaume de Dieu souffre violence et les violents s’en emparent » (Mt 11,12). Nul mieux que saint Paul n’a exprimé cette fascination : « Je poursuis ma course pour tâcher de saisir, ayant été saisi moi-même par le Christ-Jésus…Je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être et je cours vers le but (Ph 3,12-13). Nous sommes ce coureur sur le stade qui ne regarde ni à droite ni à gauche, oubliant ce qui est derrière et ne visant qu’une seule chose. Ou, pour reprendre une image de Dürckheim, nous devrions être dans le quotidien à l’affût du Divin comme le chien de chasse qui, pas un seul instant, ne quitte la trace du gibier sur le chemin ! Le renoncement à tout autre chose est absolu, mais la Joie est telle que cette mort-là a le sourire aux lèvres… Le coeur pur voit Dieu en tout, il L’entend, il Le sent, il Le touche, il Le savoure, il Le hume.Avec toute notre affection, à bientôt !



Père Alphonse et Rachel





Prière de Carême :



Dieu, fais nous revenir à toi ! Ouvre une brèche en nos cœurs, une déchirure dans notre suffisance. Fais-nous revenir, dans le jeûne du désir retrouvé de vivre pour toi, dans les larmes de reconnaissance pour ta grâce sans cesse offerte, et le deuil de nos illusions, de nos attachements qui nous séparent de toi. Dieu tendre et miséricordieux, fais-nous revenir à toi et les uns vers les autres, tout au long de ce carême. Nous t’en prions par Jésus-Christ, Celui que tu as envoyé pour nous rassembler dans l’Esprit d’Amour qui vous unit éternellement.