06 janvier 2007

Synaxe de St Jean Baptiste


Icône de Maria Lavie



Le 7 janvier, nous célébrons la SYNAXE du vénérable et illustre PROPHÈTE, PRÉCURSEUR et BAPTISTE du Seigneur JEAN.(1)


Ainsi qu'Elle en a la coutume après certaines grandes Fêtes du Seigneur et de la Mère de Dieu, en ce second jour de la Fête de la Théophanie, l'Eglise rend honneur à l'auxiliaire de ce Mystère, au Baptiste et Précurseur, qu'elle loue comme le plus grand des Prophètes, le plus noble des enfants des femmes, la voix du Verbe, le héraut de la Grâce, l'hirondelle annonciatrice du printemps spirituel, le flambeau et le phare de la Lumière divine, l'aurore spirituelle annonçant le Soleil de Justice, comme Ange terrestre et homme céleste qui se tient à la frontière du ciel et de la terre et unit l'Ancien et le Nouveau Testament. Envoyé par Dieu comme une voix dans le désert, pour annoncer et préparer la venue du Christ, Jean met un terme à sa mission en baptisant le Seigneur dans le Jourdain: « Telle est ma joie, et elle est complète, dit-il, Il convient que Lui croisse et que moi je diminue ... » (Jn. 3:30). Cependant, même après l'apparition de la Grâce et sa mort en Martyr, Saint Jean le Baptiste continue d'être pour les Chrétiens, au sens spirituel, le Précurseur du Christ. Modèle de la tempérance, de la virginité, de la vie de pénitence et de purification des passions par l'ascèse et la prière, initiateur de la vie monastique et du séjour dans le désert, il ne cesse de nous préparer le chemin qui mène au Seigneur. C'est en suivant son message de repentir et de conversion que l'on peut dignement se préparer à recevoir le Saint Baptême, et c'est en imitant, après l'illumination, son saint mode de vie au désert que lon pourra garder la Grâce et la faire croître sans relâche jusqu'à ce que le Christ habite en nous dans toute la splendeur de Sa Résurrection.


1. Sur la vie de Saint Jean le Précurseur, voir les notices de ses Fêtes: Conception (23 sept.), Nativité (24 juin), Décollation (29 aoùt), Découvertes de sa tête (24 février et 25 mai).




Synaxe du Saint et Illustre Prophète et Précurseur
Jean-Baptiste
Mat IV, 12-17 / Jn I, 29-34


29 Le lendemain, il vit Jésus venant à lui, et il dit : Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde.
30 C'est celui dont j'ai dit: Après moi vient un homme qui m'a précédé, car il était avant moi.
31 Je ne le connaissais pas, mais c'est afin qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser d'eau.
32 Jean rendit ce témoignage : J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et s'arrêter sur lui.
33 Je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser d'eau, celui-là m'a dit : Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et s'arrêter, c'est celui qui baptise du Saint Esprit.
34 Et j'ai vu, et j'ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu.




Méditation d'un moine venu de l'Eglise d'Occident


Chers frères et sœurs !

En cette période de début d’année civile où l’on s’échange bons vœux, souhaits et présents ; où le matérialisme tente vainement de vaincre toute manifestation spirituelle, c’est sans compter sur notre foi qui sort triomphante de cet esprit mondain. Mais loin de nous l’idée de rejeter catégoriquement tout matérialisme ! Non, car l’aspect matériel de notre vie est nécessaire et coopérant à notre salut, bien qu’étant somme toute secondaire.



En effet comme nous venons de l’entendre dans l’Evangile, c’est aujourd’hui qu’à la suite de Jean-Baptiste, le Christ commence à prêcher ; nous enjoignant avant toute chose à nous convertir, c'est-à-dire à n’avoir de cesse de nous tourner vers Dieu, de n’avoir de cesse de demeurer en Lui, de n’avoir d’autre but que Lui seul, en bref de faire de cela notre tâche primordiale, sans relâche.

Aussi longtemps que Jean-Baptiste prêcha, Jésus n’assuma pas la charge de la prédication publique.
Pourquoi ?
Parce qu’il Lui fallait attendre que soit accomplie l’époque de la Loi et des Prophètes en la personne du précurseur, car effectivement tous les prophètes et toute la Loi aboutissent à Jean-Baptiste ; alors vient ce qui avait été prophétisé depuis des générations et l’Evangile du Christ resplendit, se révèle et s’actualise.



Il nous est dit par ailleurs dans la lecture de ce jour que Jésus est venu s’établir dans la région de Zabulon et Nephtali… Qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui ? Cela signifie qu’il faut bien comprendre par là que le ministère du Christ va désormais prendre un sens et une envergure tels, que ce ministère dépassera le cadre de la judaïté et deviendra un ministère universel ; ouvert aux nations à qui s’adresse bien évidemment l’Evangile de Dieu.
Oui ; l’Evangile de Dieu ; la bonne nouvelle de Dieu… De Dieu parce que c’est Lui qui envoie la Bonne Nouvelle dont le Christ ; « l’Envoyé » du Père ; se fait le héraut ; et en même temps le Christ EST cette Bonne Nouvelle, en son être même dans lequel s’unifie l’homme et Dieu, si bien que Dieu devient Lui-même l’objet de cette Bonne Nouvelle.


Durant tout son ministère public, Jésus nous redira maintes et maintes fois que le Royaume des Cieux est proche, et l’ensemble de l’Evangile nous enseigne ce que le Christ vient instaurer sous ce nom de « Royaume de Dieu » ou « Royaume des Cieux ».
Mais précisément ici, la Bonne Nouvelle c’est que le Royaume est proche ; ce qui signifie qu’il s’approche, qu’il vient au devant de nous. C’est Dieu qui nous l’envoie en la personne de Jésus Lui-même, ce Don de Dieu comme le dira Jésus à la Samaritaine.
Oui ; si nous savions le Don de Dieu… et le plus important pour nous est de découvrir qu’Il nous aime, et que Son Amour n’est que présence et pardon.
En ce sens donc ce Royaume est déjà là, devant nous, à la fois proche et tangible et plus encore le Royaume de Dieu est au-dedans de nous.



Et pourtant…comme toujours dans l’Evangile il y a des paradoxes…et il en est un, c’est que le Règne de Dieu à la fois déjà là mais il est encore à venir. N’oublions pas que le Règne de Dieu est un autre nom de l’Alliance ; l’Alliance étant l’Amour de Dieu offert, mais offert à notre liberté. Il y a donc pour nous une contrepartie , un engagement à prendre, à pratiquer et à respecter.
Cet Amour de Dieu qui nous est offert doit donc être, vécu, dispensé par nous tous et, dans une certaine mesure, le Règne de Dieu dépend donc de nous pour autant que l’on se convertisse et que l’on croie à l’Evangile.



Le fait de se convertir ou de se repentir ne doit pas nous effrayer ; loin de là ! Cette notion de « métanoïa » (pour employer le terme exact) ; cette condition, est ô combien dynamisante et réconfortante si l’on ne perd pas de vue que le but est essentiellement le retour à Dieu. Devons-nous donc en avoir peur ? Certes non ! Bien entendu cela requiert de nous humilité patience et abnégation, ce qui n’est pas forcément toujours facile, mais loin d’être un précepte bassement moral ; ce mouvement intérieur du cœur ne peut qu’être assuré de succès et donc de liberté incomparable et éternellement durable au sein de l’Amour vivifiant de Dieu.



Comme nous l’avons dit plus haut ; pour cela nous avons l’Evangile pour nous y aider et nous faire vivre dans le sens plénier du terme. Croire en la bonne parole de l’Evangile c’est s’engager à la suite du Christ dans une vie dirigée vers Dieu par une foi aimante et espérante.
Et qu’est-ce que tout cela sinon la réalisation dès ici-bas du Règne et du Royaume de Dieu, comme il nous l’est enseigné dans les Béatitudes ? En conséquence, l’appel à la conversion que nous lance à chaque instant le Christ n’en est que plus insistant et primordial. Cette conversion consiste en l’engagement de la foi, qui se balise par les sacrements, par les sacrements de la foi. Ne les négligeons pas !



Ils sont pour nous la source pure et rafraîchissante de l’Amour miséricordieux du Seigneur à laquelle il fait bon s’abreuver dans nos sécheresses spirituelles; ils sont là pour nous aider à vivre notre foi de disciples du Christ, loin d’être des contraintes, de la routine et en tout cas jamais une fatalité ; ils sont pour nous des terrains de rencontre avec Dieu.
Croyons en Lui simplement ; devenons toujours plus des êtres de désir et Il fera le reste… mais toujours par notre coopération !

Notre foi s’affirmera donc dans nos actes, nos actes sanctifieront le temps, notre vie, notre vie devenue sainte et par extension sanctifiante transfigurera le monde pour son salut. Ne nous décourageons pas si, par ces actes qui se doivent d’être toujours silencieux et humbles, nous avons l’impression d’être comme Saint Jean-Baptiste des voix qui crient dans le désert ; Dieu verra notre foi et nous entendra. Il n’est pas du genre à rester sourd à nos appels… !



Ce combat spirituel que nous avons à mener ; qui que nous soyons ; est donc le gage de notre propre salut et par extension de celui du monde (rappelons le) ; soyons conscients de la portée cosmique de notre foi vécue dans l’esprit de la métanoïa.



Le monde dans une certaine mesure nous est confié et nous nous devons de le préserver pour le transmettre –dans le meilleur état possible- à nos enfants (enfin ; pas les miens évidemment ; plutôt les vôtres !), disons aux générations futures.



En conclusion ; que l’année civile qui commence nous soit un An de Grâce béni où toute ténèbre sera chassée de nos cœurs ; d’où ne jaillira du plus profond d’eux que cette dernière parole de l’Apocalypse : « Viens Seigneur Jésus ! »


Amen !






Une lecture juive des évangiles : "En vérité je vous le dis" d'Armand Abécassis (Livre de poche p158)



Jean le Juif - Jésus le Christ



Luc dit d'abord que Zacharie et Élisabeth, les parents de Jean, observaient scrupuleusement la loi (1, 5-6) et descendaient les deux d'une famille de prêtres. Élisabeth était stérile comme les matri­arches et comme les mères des grands personnages bibliques : Samson (CHiMCHoN) ou Samuel. Ils étaient tous deux « avancés en âge» comme Abra­ham et Sarah. Zacharie faisait partie de la hui­tième classe des prêtres, qui étaient divisés en vingt-quatre groupes pour le service du Temple. C'est à l'heure de l'offrande de l'encens, au moment où « toute la multitude du peuple était en train de prier au-dehors» que l'ange lui apparut pour lui annoncer la naissance de son fils Jean, dans des termes et dans des expressions spécifiquement bibliques.


Ce nom, signifiant «YHWH fait grâce », annon­çait à Zacharie le prélude des temps messianiques et le commencement de la joie qui les accompagne. Jean sera consacré à YHWH dès le sein maternel comme Samson, Jérémie et d'autres héros encore. Sa conduite sera celle du nazir car « il ne boira ni vin ni boisson fermentée» (1, 15) afin de se consacrer exclusivement à sa mission qui est « de rame­ner beaucoup des fils d'Israël au Seigneur, leur Dieu» (1, 16). Luc lui donne la fonction dévolue à Élie d'après le prophète Malachie (MaL'aKHY) :


II ramènera le cœur des pères vers leurs enfants (Malachie 3, 24).


Et comme Abraham encore, Zacharie dit à l'ange:


À quoi le saurai-je? Car je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge (Luc 1,18).



Le patriarche, en effet, avait fait les deux mêmes réponses à YHWH, lors de l'alliance du chapitre 15 de la Genèse où lui furent annoncés la naissance d'Isaac et l'héritage de la terre de Canaan , et lors de l'annonce de MaMRe, où l'ange lui promit l'enfant pour l'année suivante.


Qu'est-ce à dire ? D'une manière générale, Luc est le seul à raconter la naissance de Jean et à insister avec tant de détails sur l'annonce faite à ses parents, Zacha­rie et Élisabeth. C'est pourquoi son Évangile s'ouvre sur l'histoire des deux naissances, celle de Jean et celle de Jésus parce qu'il cherche à situer sa propre vision de l'histoire - Jésus - par rapport à la vision juive - Jean. Il souligne la continuité entre celui-ci et le peuple juif en insistant sur la fidélité stricte de la famille où il est né. Il remonte à l'histoire d'Abraham et de Sarah qui étaient « avan­cés en âge» et frappés par la « stérilité» de celle-ci. Ainsi donc a commencé l'histoire d'Israël au milieu des nations, par celle d'une famille hébraïque composée de deux êtres arrivés très tard dans le temps des civilisations ambiantes - ils étaient vieux - et qui, comble d'ironie, ne peuvent de toute façon transmettre leur message à qui que ce soit puisque l'épouse est stérile, depuis sa naissance.



Il y eut donc deux miracles à l'origine, c'est-à-dire deux mutations, deux ruptures avec l'ordre naturel signifié par le temps et le vieillissement, à savoir la dégradation et l'usure, et par la stérilité, c'est-à-dire l'impasse et la fermeture sur soi.


Nous avons vu que ces thèmes récurrents dans les récits bibliques trouvent leur antidote dans la notion d'engendre­ment du fils par le père qui lui apprend la fidélité à la promesse, et dans celles de créativité et de revir­ginisation qui lui permettent de triompher de la nature et du temps en en faisant une histoire, celle de sa propre lignée, de son peuple et de l'humanité. On retrouve avec insistance l'un ou l'autre de ces deux thèmes dans toute la Torah et particulière­ment avec les parents du prophète Samuel auquel Luc pense certainement (Samuel 1,1 Juges 13,4). Sa mère Anne était sté­rile également. De même que les Hébreux et les Juifs sont descendants d'Abraham par Isaac, de même c'est par Samuel qu'ils reçurent la royauté davidique. Jean est bien présenté par Luc comme le fidèle continuateur de la puissance créatrice ins­crite au cœur du judaïsme. En cette famille de prêtres se prépare donc une transformation impor­tante ; d'après Luc, dans le temps où Zacharie offi­cie, se met en place une mutation essentielle dans le peuple juif. En effet, le récit se déroule à Jérusa­lem, dans le Temple, dans la semaine précisément où la classe des prêtres dont fait partie Zacharie entre en fonction.


En plus, le tirage au sort des fonctions de la jour­née désigne Zacharie pour l'activité la plus solen­nelle, l'offrande de l'encens, le matin avant l'holo­causte et le soir, sur l'autel des parfums, juste en face du «Saint des Saints». Après y avoir brûlé l'encens, Zacharie doit faire une courte prière et retourner vers le peuple pour le bénir. Luc écrit que :

Toute la multitude du peuple était en prière au­dehors à l'heure de l'offrande de l'encens.
Luc 1, 10

Mais c'est en brûlant l'encens et en priant devant l'autel que Zacharie aperçoit l'ange venu lui annon­cer la naissance de Jean. C'est donc dans le Temple, à Jérusalem, quand le peuple s'y rassemble au cré­puscule du soir pour prier et pour recevoir la béné­diction sacerdotale, après l'offrande de l'encens devant le «Saint des Saints», que Luc choisit de commencer son Évangile. Comme s'il voulait inscrire la naissance de Jésus comme celle de Jean au cœur du judaïsme et comme s'il cherchait en même temps à faire du premier l'aboutissement de l'his­toire juive et de Jésus le commencement absolu d'une nouvelle histoire qui lui succède.


Il faut lire, derrière les parallélismes entre les deux annonces et les deux naissances, les discontinuités plus que les analogies.


En effet, l'ange Gabriel apparaît à Zacharie trou­blé, pour lui dire :

"Sois sans crainte, Zacharie, car ta prière a été exaucée. Ta femme Élisabeth t'engendrera un fils et tu appelleras son nom: Jean et ce sera pour toi joie et allégresse et beaucoup, à cause de sa nais­sance, se réjouiront. Car il sera grand devant le Sei­gneur; il ne boira ni vin ni liqueur fermentée et il sera rempli de l'Esprit Saint dès le ventre de sa mère. Il tournera vers le Seigneur leur Dieu beau­coup des fils d'Israël."Luc 1, 13-16

Comparons ce récit à celui qui narre l'annonce par le même ange Gabriel à Marie. Alors qu'il calme Zacharie en lui disant : « Sois sans crainte», il dit à Marie : «Réjouis-toi sans cesse ! Tu te trouves comblée de grâce. Le Seigneur est avec toi. »


Zacharie et Élisabeth, qui représentent pour Luc le peuple juif à son plus haut niveau, et Jean leur fils, qui représente le modèle d'homme de foi que le peuple juif produit, sont encore dans le temps de la promesse, de l'attente et de la prière. Mais ils peuvent se réjouir de la naissance de Jean puisque, dans une certaine mesure, ils ont réussi à préparer la véritable voie de celui qui vient après lui. Ainsi, une mission lui est confiée qui comble l'attente de son peuple bien que, toujours dans l'esprit de Luc, elle n'épuise pas le véritable projet de Dieu : Jean, en hébreu YoHaNaN, signifie « Dieu accorde la grâce». Mais Jésus signifie «Dieu sauvvera».


Comme Jérémie, par exemple, Jean est consacré à Dieu « dès le sein» mais Jésus est dans le sein de Marie parce que «l'Esprit Saint est venu» sur elle et parce que « la puissance du Très­Haut» l'a «couverte de son ombre». Jean est déclaré «grand devant le Seigneur» mais Jésus « sera grand» absolument, car il est «le Fils du Très-Haut». Jean «marche devant Dieu» comme Abraham, alors que Jésus «reçoit le trône de David son père et régnera pour les siècles sur la maison de Jacob car son royaume n'aura pas de fin». En somme, Jean, d'après Luc toujours, s'inscrit dans la lignée prophétique fondée par Élie en vue de rame­ner les fils d'Israël vers leur Dieu, d'enseigner aux rebelles à penser juste, en un mot de « préparer» le peuple juif « en ramenant le cœur des pères vers leurs enfants ». Il est donc un précurseur qui réta­blit le lien des générations fidèles à la Loi, condi­tion de l'accomplissement véritable de la promesse faite à Abraham. Au contraire, Jésus est appelé "Fils de Dieu " par Luc, car c'est en tant que tel que le trône de David lui est donné et non pas seule­ment parce qu'il descend du grand roi.


À toutes ces différences entre Jean et Jésus, c'est ­à-dire, évidemment, entre l'homme juif fidèle à son Dieu et l'homme tel que se le représente Luc en tant que chrétien, il faut ajouter celles-ci : ce n'est plus au Temple ni à Jérusalem que l'ange Gabriel appa­raît à Marie ; ensuite, l'époux de celle-ci, Joseph, est écarté de la conception de Jésus ; enfin Marie, en écoutant l'annonce de la naissance de Jésus, ques­tionne l'ange sur le comment de cette conception. Elle dit :
Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d'homme ?
Au contraire, Zacharie doute de l'annonce car il questionne ainsi l'ange :
À quoi le saurai-je? Car je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge.

Et c'est peut-être ce que Luc reproche au peuple juif qui préférerait, d'après lui, rester attaché à sa vieille loi, à la fidélité stricte et fermée sur elle-­même. N'hésitons pas à penser que les noms des parents de Jean ont été choisis par Luc dans cette intention. Il suffit de lire le Benedictus pour s'en convaincre. Mais il faut le lire en hébreu, pas en grec. Voici ce qu'en donne la traduction française :
Béni est le Seigneur, le Dieu d'Israël parce qu'il visita et racheta son peuple ; il réveilla une corne de salut pour nous, dans la maison de David son fils serviteur, comme il parla par la bouche de ses saints prophètes d'autrefois... pour faire miséri­corde avec nos pères et pour se souvenir de son alliance sainte et du serment qu'il fit à Abra­ham notre père...
Luc l, 68-72

Ce psaume à visée messianique évidente est récité ou composé par Zacharie le jour de la cir­
concision de son fils Jean, le huitième jour après sa naissance. C'est le jour où, après la circoncision ­signe d'alliance d'Abraham, l'enfant reçoit son nom. Marqué dans son corps, marqué dans sa culture dans laquelle il prend place par le nom familial donné par le père ou par la mère, il sait désormais et il apprendra progressivement ce qu'on attend de lui et quelle est sa place reconnue par tous. C'est ce que Zacharie dit aussi dans son poème en rappelant l'alliance patriarcale et la pro­messe divine qu'il exprime sous ses deux modali­tés : la grâce et le souvenir « pour faire miséricorde avec nos pères et pour se souvenir de son alliance sainte, et du serment qu'il a fait à ABRaHaM ».
Ces deux aspects de l'action divine sont précisé­ment déposés dans les noms des parents de Jean : Zacharie se dit en hébreu ZeKHaRYaH, du verbe ZaKHaR et signifiant: «YaH (Dieu) s'est sou­venu. » Élisabeth se dit en hébreu EliCHeBa", de la racine ChaBa" et signifiant: «Éli (mon Dieu) a prêté serment. » Le troisième mot de la séquence : « miséricorde» ou « grâce» est celui qui est inscrit dans le nom du fils, Jean, qui se dit en hébreu YoHaNaN, «YaH (Dieu) a accordé la miséricorde ».