13 décembre 2004

Saint Joseph

En bas, à gauche, figure un homme assis sur une pierre, en méditation, tantôt tourné vers la grotte et la Vierge, parfois lui tournant le dos. Il s'agit de saint Joseph, généralement représenté comme un homme âgé, à barbe grise. Il est le dernier maillon de la généalogie du Christ exposée dans l'Evangile de saint Matthieu: « Jacob engendra Joseph, J'époux de Marie, de laquelle naquit Jésus, que l'on appelle Christ. » (Mt 1, 16) En effet, comme il est dit plus loin, l'ange annonce à Joseph l'intervention directe de Dieu (Mt 1, 20); dès ce moment, le Fils de Dieu, né d'une vierge, est accepté par Joseph dans la descendance de David. « Une fois réveillé, Joseph fit comme l'Ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui sa femme; et il ne la connut pas jusqu'au jour où elle enfanta un fils, et il J'appela du nom de Jésus. » ( Mt 1, 24)

Saint Joseph est nettement séparé du groupe central formé par la Vierge et l'Enfant. Pour quelle raison? En premier lieu, la position de saint Joseph dans l'icône indique clairement qu'il n'est pas le père du Nouveau-né et que, pour cette raison, il n'a pas à former un « couple de parents» avec la Vierge Marie tournés vers l'enfant. Bien qu'il soit l'époux de Marie et le protecteur de l'Enfant, la paternité véritable de l'Enfant relève de l'action de l'Esprit-Saint qui a opéré avec l'assentiment de la Vierge. Dans certaines Icônes saint Joseph tourne résolument le dos à la scène centrale. Selon André Grabar, il faut y voir une référence à certaines images antiques, reprises dans l'art paléochrétien, visant à montrer que Joseph n'est pas le père.( Les voies de la création en iconographie occidentale, André Grabar, Flammarion, 1979, page 119 :« une mosaïque de pavement récemment découverte au Liban rend cette hypothèse très plausible. Elle représente la naissance d'Alexandre, une autre scène, donc, de naissance par intervention divine, où Philippe, l'époux d'Olympias, est étranger à la conception de l'enfant (Alexandre). L'image est significative: assis à l'arrière-plan gauche, Philippe tourne le dos à Olympias et au nouveau-né. Il a donc la même attitude que Joseph lors de la nativité du Christ. De plus, alors que les images de la nativité du Christ comprennent un rayon de lumière tombant sur l'Enfant Jésus, un serpent (peu visible sur les photos) glisse ici le long du corps d'Olympias, symbolisant Zeus, le vrai père d'Alexandre. ")

En deuxième lieu, l'attitude de Joseph fait l'objet d'interprétations assez différentes, soutenues par certains iconographes. Pour les uns, (Léon ide Ouspensky, Père Nicolas Ozoline), Joseph est éloigné par son incrédulité et ses doutes. Pour d'autres, (Père Georges Drobot) Joseph est plongé dans la contemplation. Le détail de ces deux approches peut se résumer comme ceci :

Saint Joseph plongé dans le doute

Saint Joseph est isolé car il est troublé, torturé par le doute sur la maternité de la Vierge et l'origine divine de l'Enfant. En effet, comment peut-il comprendre et accepter la naissance miraculeuse d'un fils d'une mère vierge? En effet, à vues humaines, cet événement est en contradiction totale avec les lois de la nature... Il est plein d'incompréhension et de doutes devant cet événement. Un chant de l'hymne Acathiste l'exprime parfaitement: « L'âme secouée par d'inquiètes pensées, le prudent Joseph se troubla profondément, car il connaissait ta virginité, et te soupçonne à présent, Ô Mère immaculée; mais apprenant ta conception de l'Esprit Saint, il s'écrie: Alléluia! » (Hymne Acathiste, tropaire 6) La solitude de Joseph, plongé dans ses doutes, est soulignée par un autre texte Iiturgiquelde la fête de Noël: « Voici ce que Joseph dit à la Vierge: Marie, qu'est cette chose que je vois en toi? Je suis perplexe et étonné, et mon esprit est dans l'épouvante; ne me cache rien. Marie, qu'est-ce que je vois en toi: au lieu de l'honneur, la honte; au lieu de la joie, la tristesse; au lieu de la fierté, tu m'as apporté le blâme. Je ne puis supporter la médisance des hommes, car je t'avais reçue pure des mains des prêtres du Temple, et que vois-je? »

C'est un mystère trop grand pour l'entendement humain. Cet état de doute est parfois souligné dans l'icône par une grotte noire qui lui sert de fond. Joseph est représenté accablé, la tête entre ses mains; devant lui se tient un vieux berger, appuyé sur un bâton. Ce vieux berger est interprété comme étant le diable et, dans certaines icônes, on le voit pourvu de cornes ou d'une petite queue à peine visible. Dans cette pose, saint Joseph exprime le drame de toute l'humanité, la difficulté d'admettre l'incarnation de Dieu. Parfois la Mère de Dieu a le regard tourné vers lui pour exprimer sa compassion devant son état de doute et d'ignorance.

Saint Joseph plongé dans la contemplation

C'est cette approche qui a notre préférence.
Plutôt que de mettre l'accent sur les interrogations de Joseph, une autre interprétation, développée par le Père Georges Drobot dans sa thèse de doctorat sur l'icône de la Nativité,2 présente saint Joseph dans une attitude de méditation devant le mystère, de contemplation émerveillée, intériorisée et silencieuse. La position de saint Joseph est très précise: dos ployé, tête appuyée sur un bras enveloppé dans un pan du manteau. Ceci n'est pas sans évoquer une personne assoupie ou sur le point de se réveiller, à rapprocher de celle des apôtres assoupis sur le Mont des Oliviers. Elle peut aussi représenter un homme plongé dans ses pensées. Un texte liturgique de la veille de Noël souligne cet aspect de Joseph contemplant et découvrant le miracle de la naissance de ce petit enfant qui est en réalité le vrai Dieu: « Ô hommes, fêtons par avance la Naissance du Christ et partons en pensée pour Bethléem; élevons nos pensées et contemplons avec les yeux de notre esprit la Vierge qui se dirige vers la grotte pour y donner jour au Seigneur notre Dieu. Joseph, en voyant ce grand miracle, a cru voir un homme, un petit enfant enveloppé de langes, mais par toutes les choses (qui l'entouraient) il comprit que c'était là le vrai Dieu. » Ailleurs, l'Eglise chante:
« Joseph, dis-nous : la jeune fille que tu avais reçue des portes du sanctuaire, comment la conduis-tu à Bethléem sur le point d'être mère? - Moi, dit-il, ayant scruté les prophètes et averti par un ange, je crois que Marie mettra Dieu au monde d'une manière ineffable et que, pour l'adorer, des mages viendront de l'Orient, et lui offriront des présents. » (Stichère, ton 3 ; Grandes heures de la veille de Noël)