30 mai 2007

L'icône de la pentecôte

Conférence de Maria Lavie


Aujourd’hui, nous fêtons le don de l’Esprit Saint aux Apôtres, c’est-à-dire la naissance de l’Eglise, et le début de sa mission dans le monde.


Le jour de son Ascension vers le Père, le Christ dit à ses disciples de « ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre ce que le Père avait promis »[1]. Il leur demanda de demeurer ensemble pour recevoir le don de l’Esprit :

« …Vous allez recevoir une puissance » dit-il « celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre »[2]
C’est ainsi que les disciples se trouvaient réunis au Cénacle, quand eut lieu l’événement :

« Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis » nous disent les Actes des Apôtres, « les disciples étaient tous ensemble en un même lieu, et soudain un bruit s’entendit venant du ciel : et il emplit toute la maison ; et ils virent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues comme l’esprit leur donnait de s’exprimer » (Act. II, 1, 2)


Pentecôte[3], du grec pevtecosti, désigne une période de 50 jours, ici les 50 jours qui suivent la Résurrection. La fête de la Pentecôte est le jour de clôture de cette cinquantaine pascale.

Mais avant d'être une fête chrétienne, la Pentecôte est une fête juive, Shavouot en hébreu, célébrée fidèlement chaque année.
La fête de Pâque commémore chez les Juifs la délivrance de la servitude en Egypte et la traversée de la mer Rouge. Cinquante jours plus tard, sur le mont Sinaï : Moise reçoit de Dieu les tables de la Loi. C’est en ce jour anniversaire que les apôtres reçoivent l’Esprit Saint.

Que va représenter l’icône de la Pentecôte ?

L’icône[4] est l’expression picturale de l’expérience ontologique de l’Eglise qui nous est parvenue sous la forme de la Tradition – tradition vivant dans la sainte écriture et dans les textes liturgiques.
L’icône exprime en des termes graphiques le contenu théologique (ontologique) des écritures saintes, et n’en est pas la simple illustration. Par des moyens appartenant au monde sensible, elle ouvre à une réalité spirituelle, c’est pourquoi elle est toujours un peu en décalage avec le monde naturel, car elle exprime une réalité ontologique : elle échappe aux lois de l’espace et du temps.

Par exemple pour ce qui est de l’espace, elle ne cherche pas à rendre le volume ou la perspective, elle tend à dépasser l’apparence du monde réel, et à se situer dans un univers qui n’est pas soumis aux lois du monde matériel. Pour ce qui est du temps, elle peut présenter simultanément plusieurs événements qui ont eu lieu à des moments différents . Elle s’offre toujours au présent à celui qui la contemple, et le fait participer à l’événement représenté.

Voici, l’icône de la Pentecôte du monastère de Stavronikita, au Mont Athos, en Grèce. Cette icône , qui date du XVII e s. , nous concerne particulièrement aujourd’hui, et peut être lue avec la même actualité qu’à l’époque où elle a été peinte:







Nous voyons une assemblée d’hommes, assis en demi-cercle sur un banc à haut dossier. C’est une scène d’intérieur comme le signifient les maisons en arrière plan et le rideau rouge.
Les protagonistes de cette scène sont au nombre de douze, ils tiennent à la main, qui un rouleau de parchemin, qui un livre. Leur attitude est calme, leur posture hiératique, l’atmosphère semble cordiale.









On remarque aussi un espace laissé entre deux personnages attirant le regard sur la place centrale laissée vide.
Au-dessus de la maison, le ciel, d’où sortent des rayons qui se terminent par des flammes - des « langues » de feu - qui descendent et se posent sur chaque personnage.
Au bas de l’image, une cavité sombre, d’où se détache un personnage couronné, à barbe blanche, il porte à bout de bras un linge où sont déposés douze rouleaux.
La composition est symétrique, 6 hommes, 6 langues de feu de chaque côté.
La scène est lumineuse : le ciel est représenté par un fond d’or, il y a le soleil, des rais de lumière sur les bancs, des rehauts de lumière sur les vêtements.



Les douze[5] personnages, vous l’avez compris, sont les Apôtres, du grec apostoloi, ceux qui sont envoyés en mission.

En haut Pierre et Paul, puis les quatre évangélistes tenant le Livre Saint , Matthieu et Luc (à gauche de l’image), Jean et Marc (à droite), puis Simon, Barthélémy et Philippe (ou Jude) (à gauche), André, Jacques et Thomas (à droite)

Pourquoi Saint Paul est-il représenté sur cette icône, alors qu’il n’était pas présent historiquement ce jour-là, et qu’il n’était même pas encore converti ?

C’est que l’icône ne représente pas seulement les événements décrits par les textes, elle dévoile aussi leur signification. Le sens de cette présence paraît clair : pourrait-on imaginer l’Eglise sans Saint Paul ?

SCENE D’ENSEIGNEMENT

Pourquoi cette place vide au milieu des apôtres ?

Cette place est celle du Christ. La place laissée vide au centre, signifie que le Christ est présent, même s’il n’est pas visible.[6]
La place du Christ est au centre, il est le chef de l’Assemblée, il est la tête de l’Eglise et c’est son Enseignement qu’avec le don de l’Esprit, l’Eglise a mission de répandre.

L’Esprit Saint leur enseignera même ce qu’ils ne pouvaient porter lorsque le Christ était là :

« Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit . » (Jn 14, 26)

Le Christ dit encore : « J’ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ; lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière » (Jn 16, 12-13).

L’Esprit Saint qui est donné, pour toujours, va permettre aux apôtres d’accomplir la mission qui leur a été confiée, confiée à eux qui n’étaient ni érudits ni philosophes, mais des hommes simples, des pécheurs …


L’icône évoque une scène d’enseignement[7] philosophique de l’Antiquité

Regardons l’icône :

- Les apôtres sont assis sur un banc à haut dossier en demi-cercle, comme ceux que l’on utilisait dans l’Antiquité dans les écoles de philosophie, on pense tout de suite à Platon, à Pythagore… instruisant leurs disciples.
Cette référence à l’Antiquité s’adresse aux Grecs, aux détenteurs de la pensée philosophique, et dit que l’enseignement du Christ va bien au-delà de la seule philosophie, car « cette parole que vous entendez, elle n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé. »[8] (Jn 14, 24 )


PHOTO
L’image du Christ enseignant est très tôt représentée dans l’iconographie paléo-chrétienne. On trouve par exemple à Rome dans les Catacombes de Domitille, qui datent du Ive s, une des premières scènes du Christ enseignant, il est vêtu à l’antique, tel le philosophe au milieu de ses disciples. L’art paléo-chrétien s’est beaucoup inspiré de l’art antique, des fresques, des miniatures, des bas-reliefs.





Regardons une autre image, d’un ivoire sculpté du vie s (Rome ou Italie du nord) cette fois







Nous voyons ici les 12 apôtres assis autour du Christ : la place du Christ est au centre, presque comme une colonne centrale, les apôtres sont autour de Lui , ils sont assis sur une banquette en demi-cercle, et sont vus dans une perspective rehaussée, que l’on pourrait appeler « inversée » . (cad que la taille des personnages diminuent non pas en s’éloignant mais en se rapprochant de celui qui regarde)

Imaginons la place du Christ vide, et nous trouvons la disposition classique du collège apostolique de la Pentecôte, collège apostolique qui est le fondement de l’Eglise, les douze[9] colonnes sur lesquelles repose l’édifice. La place vide évoque avec force la présence du Christ.



LA REPRESENTATION DE L’EGLISE PHOTO 4 Stavronikita

L’icône de la Pentecôte est la représentation de l’Eglise[10], elle est le symbole de l’Eglise.

- SYMBOLE : du grec Symbolon , est le contraire de diabolon= ce qui divise, Symbolon est ce qui rassemble. A l’origine, le symbolon était un objet que l’on avait coupé en deux et qui ne prenait son sens que lorsque les deux parties étaient réunifiées. C’était un signe de reconnaissance.
Le symbole rassemble deux parties, d’un côté une réalité matérielle, de l’autre une réalité spirituelle, qu’il rend présente. Le symbole n’est pas une simple image allégorique, il existe un lien organique entre les deux parties qu’il assemble.[1]
L’icône aussi fonctionne de cette façon, elle unit une partie matérielle et une partie spirituelle, elle nous révèle un autre monde d’une plénitude incomparable à la vie du monde déchu.



Se réunir en église a trait à la nature et au but de la réunion, pas au lieu : le mot église, du grec ekklésia veut dire assemblée (ekklésiazo veut dire appeler, convoquer une assemblée, assister à l’assemblée) . Notre icône nous montre la première assemblée, l’assemblée fondatrice, celle des apôtres . « Se réunir en église », c’est donc constituer une telle assemblée, dont le but est de réaliser l’Eglise. Cette première assemblée manifeste l’existence de l’Eglise.

« Il faut bien savoir » écrit un théologien orthodoxe, le père Schmemann « que nous nous rendons au temple non pas pour y prier individuellement, mais pour nous réunir en Eglise. Le temple visible n’est que la figure de l’invisible qu’il revêt et qui n’est pas fait de main d’homme.…Quand je dis que je me rends à l’église, cela signifie que je vais à l’assemblée des fidèles pour, avec eux, constituer l’Eglise, pour être celui que je suis devenu le jour de mon baptême : un membre du Corps du Christ, au sens plein du terme… Je me rends à l’église pour manifester ma qualité de membre, pour attester devant Dieu et le monde le mystère du Royaume, « déjà venu en puissance » »[11] Tel est le mystère de l’Eglise, celui du Corps du Christ que nous formons au présent car le Christ est avec nous, même s’il est invisible comme sur cette icône.


Manifester et confesser la présence du Christ et de son Royaume dans le monde, fut la mission première des Apôtres, c’est pour cela qu’on les voit porter qui un livre, qui un rouleau.


Codex et rouleaux

Ceux qui tiennent l’Evangile sont Paul, Jean, Luc, Matthieu, Marc. Les autres tiennent un rouleau (eiliton en grec) symbolisant la Parole de Dieu qu’ils vont transmettre grâce à l’Esprit Saint qui a ouvert leur intelligence[12].

Harmonie et calme

Les Actes des Apôtres nous disent que la descente de l’Esprit se fit dans un grand bruit et une confusion générale. Cependant, sur l’icône nous voyons exactement le contraire : un ordre harmonieux, une composition rigoureuse. L’attitude hiératique des Apôtres exprime calme et solennité.
L’icône nous montre l’événement de l’intérieur, comme l’ont vécu les apôtres.
L’icône nous révèle le sens intérieur des événements, elle dévoile leur portée eschatologique.

L’Eglise est bâtie avec ordre et harmonie autour de la figure du Christ, nous dit l’icône. Ainsi toute Assemblée eucharistique reproduit au présent cette forme initiale. L’Eglise n’est pas bâtie sur l’individualisme, mais sur la communion entre ses membres, ils étaient réunis en prière dans l’attente de l’Esprit Saint promis par le Christ.
C’est le sens ecclésiologique[13] de l’Assemblée - et par extension eucharistique -qu’affirme l’icône de la Pentecôte.


Les langues de feu : baptême de l’Eglise par le feu

L’icône de la Pentecôte est la représentation de l’Assemblée des Apôtres, cad de l’Eglise, au moment où elle reçoit le baptême de l’Esprit.

« Vous m’avez entendu vous dire que Jean a baptisé avec de l’eau[14], mais vous c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés » (Ac I, 5) dit le Christ aux apôtres. « Et ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent »[15].

L’icône nous montre le baptême des apôtres, donc de l’Eglise, par le feu de l’Esprit Saint. C’est à la fois la naissance et le baptême de l’Eglise.[16] Les Apôtres sont unis dans l’Esprit Saint, mais chacun reçoit personnellement le feu de l’Esprit : les langues se partagèrent. De cette alliance de l’unité et de l’altérité[17] des apôtres découle toute l’histoire de l’Eglise avec ses conciles.

Voici maintenant d’autres icônes de la Pentecôte

PHOTOS

: Crète (Damaskinos) XV


: Russie, Novgorod, XV



: Grèce, Athènes, XX

: Mont Athos, Dionysios, XVI



Nous remarquons une constante dans l’iconographie, à travers les lieux et les époques. Il y a quelques différences stylistiques, mais la représentation de la naissance de l’Eglise est la même.

MISSION DES APÖTRES

L’effet[18] le plus surprenant de la descente de l’Esprit sur les apôtres fut qu’ils se mirent à parler aux hommes de « toutes les nations qui sont sous le ciel », réunis à Jérusalem, « et que chacun les entendait parler en sa langue » .

La Pentecôte restaure ce qui avait été brisé à la Tour de Babel[19].
A la tour de Babel, l’incompréhension s’était installée entre les hommes, signant la division entre les nations; dans l’Esprit Saint la communication entre les hommes est rétablie, de plus l’union redevient possible dans le respect de l’altérité (hommes de toutes les nations).

Le Peuple de Dieu est élargi au point de ne plus connaître aucune frontière de race, de culture, d'espace ou de temps. Le salut est offert aussi à ceux qui ne sont pas Juifs.


L’icône montre cela de plusieurs façons : PHOTO STAVRONIKITA

D’abord par sa composition qui n’est pas close[20] : on voit que les rangs des apôtres restent ouverts[21].




Le vieux roi [22]- cosmos

Ensuite, en bas de l’icône, on voit un personnage impérial[23] qui représente le monde temporel. [24]
Dans un geste d’action de grâce[25], il tient dans un linge[26] les douze rouleaux de la prédication apostolique. [27]


On peut aussi voir ce linge comme une embarcation. Le navire a souvent été utilisé pour figurer l’Eglise. Je cite saint Clément III e s. :

« Le corps entier de l’Eglise ressemble à un grand navire transportant par une violente tempête des hommes de provenance très diverses qui ne veulent habiter que la cité du royaume. Regardez donc Dieu comme le maître de ce navire, le Christ comme le pilote, l’évêque comme la vigie, les prêtres comme les maîtres d’équipage,… le commun des frères comme les passagers, le monde comme l’abîme de la mort… »[28]

Les apôtres de simples pécheurs qu’ils étaient sont appelés à prendre la mer et à bord du navire qu’est l’Eglise, à devenir pêcheurs d’hommes[29] :
Il faut que tous les peuples apprennent la Bonne Nouvelle : que le don de l’Esprit est pour tous.[30]


L’icône fait entrer le Royaume dans l’histoire.
La descente de l’ Esprit saint est le premier[31] jour d’une ère nouvelle.[32] [33]
L’Esprit Saint se communique aux membres du corps du Christ et les déifie par la grâce.
C’est cela même le sujet de l’icône : la déification de l’homme, et l’icône nous en montre le chemin.







The End





[1] Act 1, 4-5.
[2] Act 1, 8.
[3] en grec « pevtecosti » désigne une période de cinquante jours - comme on dit tessaracosti, pour les quarante jours du grand Carême.
Il est important de voir l’unité de cette période de cinquante jours, de comprendre la continuité entre la Résurrection (1er jour), l’Ascension (le 40e jour), et le don de l’Esprit Saint aux Apôtres, le 50e jour. Dans l’Eglise primitive, cette période de cinquante jours après Pâques était célébrée comme un ensemble, comme une période festive de sept semaines, comme l’unique jour de la « magna dominica » [3]. Cette unité de la cinquantaine pascale est préservée, dans une large mesure, dans la pratique liturgique actuelle de l’Eglise orthodoxe comme en témoigne l’utilisation du Pevtecostaire, livre qui contient tous les textes liturgiques de cette période « en commençant par le matin du saint et grand dimanche de Pâques et jusqu’au dimanche de la Pentecôte (c’est de ce livre que nous citerons l’hymnographie)


[4] « l’honneur rendue à l’icône remonte au prototype » (Saint Basile, traité du saint Esprit) , ’il y a, comme nous l’avons vu, un dépassement du visible vers l’invisible. Saint Jean Damascène, dans sa défense des saintes icônes explique : « je ne me prosterne pas devant la matière mais devant le créateur de la matière qui a établi sa demeure dans la matière et a accompli mon salut par la matière » et il cite Jean : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (jn1, 14) in Damascène, le visage de l’invisible, II, 14)

C’est cela même le sujet de l’icône, la déification de l’homme, sa participation dans la grâce et par la grâce au Royaume, ici et maintenant, déjà. Les visages représentés dans les icônes échappent au naturalisme, et présentent l’homme transformé par l’action de l’Esprit saint, l’homme dans la lumière de la Sainte Trinité. C’est le chemin qui est proposé à chaque Chrétien, la voie de la Transfiguration, et les icônes nous en montre le chemin, car depuis que le divin s’est mélangé à notre nature, notre nature a été véritablement glorifiée (JD, II, 10)

[5] Il faut remarquer que ce don a été communiqué non seulement aux douze mais à tous les disciples. Saint Luc n'aurait pas dit « tous », s'il n’avait voulu désigner que les apôtres. L’iconographie n’a retenu que les douze pour des raisons métonymiques (une partie représente le tout).

[6] « Lorsque deux ou trois se réunissent en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt XVIII, 20)

[7] Il est intéressant de noter que l’icône de la mi-pentecôte est justement la scène du Christ enseignant au Temple. (cf photo)
[8]
Nous savons aussi que le Christ dans l’Ancien Testament est annoncé sous le nom de Sagesse, le Christ est Sophia. Dieu, en offrant aux hommes son Fils, leur a communiqué la Sagesse, et cette Sagesse, Il l’a communiquée aux Apôtres et leur a demandé de la proclamer au monde entier :
« Allez par le monde entier proclamer l’Evangile à toutes les créatures » nous rapporte Marc (Mc 16, 15)


[9] (cf les 12 tribus d’Israël)

[10] [10], elle est le symbole de l’Eglise.

- SYMBOLE : du grec Symbolon , est le contraire de diabolon= ce qui divise, Symbolon est ce qui rassemble. A l’origine, le symbolon était un objet que l’on avait coupé en deux et qui ne prenait son sens que lorsque les deux parties étaient réunifiées. C’était un signe de reconnaissance.
Le symbole rassemble deux parties, d’un côté une réalité matérielle, de l’autre une réalité spirituelle, qu’il rend présente. Le symbole n’est pas une simple image allégorique, il existe un lien organique entre les deux parties qu’il assemble.[10]
L’icône aussi fonctionne de cette façon, elle unit une partie matérielle et une partie spirituelle, elle nous révèle un autre monde d’une plénitude incomparable à la vie du monde déchu,
[11] (SCH ; Eucharistie, 14)

[12] On voit ici à la fois le parallèle et le dépassement de ce parallèle entre Pentecôte néotestamentaire et Pentecôte vétérotestamentaire : les tables de la Loi sont données à Moïse 50 jours après la traversée de la Mer Rouge. L’Esprit Saint, qui enseignera toutes choses aux apôtres, et leur fera ressouvenir de tout ce que le Christ leur a dit, l’Esprit Saint est envoyé à l’Eglise naissante le jour de Shavouot. L’enseignement du Christ, qui provient du Père, éclairé par l’Esprit est la réalisation de la Promesse, l’accomplissement de la Loi.


[13] L’icône de la Pentecôte nous donne à voir le moment fondateur de l’Unité des membres de cette assemblée. Ils sont unis dans le don qu’ils reçoivent de façon égale mais personnelle : UNITE et ALTERITE.

[14] La colombe est parfois utilisée dans l’iconographie de la Pentecôte, mais elle n’a aucune raison d’être dans cette représentation de la Pentecôte. Ni les Ecritures ni l’hymnographie n’en font mention pour la Pentecôte, cette image appartient à l’icône du Baptême du Christ, autre manifestation trinitaire.

[15]
Ces langues de feu qui tombent sur les apôtres sont l’essentiel de l’icône de la Pentecôte la plus ancienne dont on ait trace, conservée au monastère de sainte Catherine, au mont Sinaï. Nous voyons chacun des apôtres recevoir une langue de feu, le don de l’Esprit est partagé, la prédication apostolique, c’est aussi le partage de ce don : Unité et altérité


[16]L’ action de l’Esprit est toujours présent dans l’Eglise : l’épiclèse

[17] Unité et altérité : il faut d’abord distinguer avant de pouvoir unir.
Dans l’Eglise primitive on parlait de l’Eglise catholique de tel endroit, on considérait l’Eglise présente dans sa plénitude dans chaque assemblée eucharistique locale : de même que le Christ est présent tout entier dans le mystère eucharistique, de même l’Eglise – son corps – est présente entièrement dans chaque église locale.
[18]
« Saint Luc dit « qu'il y avait à Jérusalem des habitants, Juifs religieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel, et ce bruit s'étant répandu, il s'en assembla un grand nombre, et ils furent fort étonnés » car « chacun les entendait parler en sa langue. » (Act. II, 5- .) …
[19] Le don des langues est dans l’hymnographie de la fête mis en rapport avec la Tour de Babel, en opposition avec elle.
(Lors des vêpres de la fête, nous chantons) :
« Les langues jadis confondues à cause de l’audace de la construction de la tour sont maintenant remplies de sagesse par la glorieuse connaissance de Dieu ; jadis le Seigneur condamna les impies pour leur péché, maintenant le Christ illumine les pécheurs par l’Esprit »

[20] L’ouverture de l’icône elle-même (et de toute icône) qui n’enferme pas les scènes dans un édifice particulier, on voit les bâtiments en arrière plan, signifie que le sens des événements que représente l’icône ne se limite pas à leur lieu historique, mais dépasse le moment où ils eurent lieu. Aujourd’hui, comme hier, comme demain, le message de l’icône est le même .(àdpl avec icones ?)

[21] « L’Eglise ne se limite pas au cercle des apôtres, ni à l’apostolat en général, ni à la hiérarchie » (L. Ouspensky).
[22] « Le personnage impérial est postérieur à la représentation des nations, cette allégorie s’impose au cours du début XIV e s. Elle affirme la dimension cosmique de la Pentecôte.
Il s’agit d’un monde vieilli, meurtri, fatigué (Byzance) mais qui tient fermement les douze rouleaux de la prédication apostolique en les offrant aux nations tourmentées en vue de leur salut » écrit N Ozoline (OZ 4, 247)

[23] Dans certaines icônes c’est le prophète Joël qui est peint, à cause de sa prophétie qui est lue aux vêpres : « Dans ces derniers temps, dit le Seigneur Dieu, je répandrai mon Esprit sur toute chair; et vos fils et vos filles prophétiseront; vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes ». (Joël, 11, 28.) (lu à vêpres)


[24] (Byzance, la nouvelle Rome, avait été choisie comme capitale par l’Empereur romain Constantin, qui l’a rebaptisa Constantinople (330). Constantin fut le premier empereur à se convertir au christianisme, l’empire romain, devenu chrétien, fut ensuite (pour des raisons d’administration,) scindé en deux, Constantinople devint la capitale de l’Empire romain d’Orient)


[25] La fête juive de Shavouot s’appelait aussi fête des prémices - on y offrait au Temple les prémices de la récolte, les premières gerbes d’orge – c’était une fête d’action de grâce pour tous les bienfaits de Dieu. Ici le personnage impérial rend grâce à Dieu des bienfaits qu’Il vient de lui donner, Son Verbe et l’Esprit Saint.

[26] Ce genre de linge est bien connu. Il est un des attributs fréquents des allégories des saisons et de la terre dans l’art de la basse antiquité, en général il contient des fruits et évoque l’abondance des fruits de la terre.
[27] On peut voir dans ce geste d’offrande une allusion à la fête de Shavouot, dite aussi fête des prémices, on y offrait au Temple les prémices de la récolte, les premières gerbes d’orge. Philon d’Alexandrie, philosophe contemporain de Jésus en parle : « Cest une fête joyeuse, d’action de grâce pour tous les bienfaits de Dieu, en particulier pour l’heureux événement des récoltes dans cette Terre Sainte qu’Il a donnée à Son Peuple ». Le roi- cosmos semble rendre grâce à Dieu des bienfaits qu’Il vient de lui donner, Son Verbe.
[28] cité in (les premières images chrétiennes, 154)


[29] L’hymnographie exprime cette idée en l’enrichissant de l’image de la pêche d’hommes voir vêpres


[31] Le cinquantième jour : 7x7 + 1. (cf la fête juive des semaines). Cette période de cinquante jours est une semaine de semaines (7x7) le huitième jour (la Pentecôte) est comme le dimanche le huitième et le premier jour.
[32] La Pentecôte est le couronnement de la vie du Christ[32]
[33]
D’après le discours eschatologique de Matthieu, le dernier grand signe de la Parousie et de la fin des temps sera que « l’Evangile du Royaume sera proclamé en toute la terre habitée, en témoignage à toutes les nations. Et alors viendra la fin »[33] (MT. XXIV, 14)

« La foi chrétienne est essentiellement eschatologique parce que les événements qui en sont la source (…) la vie, la mort, la résurrection et la glorification de Jésus Christ, la descente de l’Esprit Saint et l’institution de l’Eglise, sont vus et vécus non seulement comme fin et accomplissement de l’histoire du salut, mais aussi comme inauguration du don d’une vie nouvelle, dont le contenu est le Royaume de Dieu : connaissance de Dieu, communion avec Lui, possibilité, bien qu’encore en « ce monde », d’avoir un avant-goût et d’avoir réellement part à la joie, la paix et la justice du « monde à venir ». (Schmemann, World, Church, Mission, p. 75)

27 mai 2007

La Pentecôte


Evangile de la Liturgie ( Jean 7: 37-52, 8:12)

Le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus, se tenant debout, s'écria: Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein, comme dit l'Ecriture.
Il dit cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui; car l'Esprit n'était pas encore, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié.
Des gens de la foule, ayant entendu ces paroles, disaient: Celui-ci est vraiment le prophète. D'autres disaient: C'est le Christ. Et d'autres disaient: Est-ce bien de la Galilée que doit venir le Christ? L'Ecriture ne dit-elle pas que c'est de la postérité de David, et du village de Bethléhem, où était David, que le Christ doit venir? Il y eut donc, à cause de lui, division parmi la foule. Quelques-uns d'entre eux voulaient le saisir, mais personne ne mit la main sur lui. Ainsi les huissiers retournèrent vers les principaux sacrificateurs et les pharisiens. Et ceux-ci leur dirent: Pourquoi ne l'avez-vous pas amené?
Les huissiers répondirent: Jamais homme n'a parlé comme cet homme.
Les pharisiens leur répliquèrent: Est-ce que vous aussi, vous avez été séduits? Y a-t-il quelqu'un des chefs ou des pharisiens qui ait cru en lui? Mais cette foule qui ne connaît pas la loi, ce sont des maudits!
Nicodème, qui était venu de nuit vers Jésus, et qui était l'un d'entre eux, leur dit: Notre loi condamne-t-elle un homme avant qu'on l'entende et qu'on sache ce qu'il a fait? Ils lui répondirent: Es-tu aussi Galiléen? Examine, et tu verras que de la Galilée il ne sort point de prophète.
Jésus leur parla de nouveau, et dit: Je suis la Lumière du monde; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la vie.

Etude sur l'icône de la Pentecôte Conférence de Maria Lavie

Homélie d'un moine orthodoxe de l'Eglise d'occident
Chers frères et sœurs !

Il serait bon de rappeler que la solennité que nous célébrons aujourd’hui s’inscrit dans un héritage qui nous vient du Judaïsme, ce qui nous aidera à mieux en percevoir le sens.
La fête juive de Pentecôte célébrait le don de la Loi, - la Tôrah -, que Dieu avait fait à Moïse, en faveur des tribus d’Israël qu’il avait tirées de la captivité des égyptiens. Le terme hébreu de Tôrah qui signifie enseignement, désigne l’ensemble des cinq premiers Livres de la Bible. Or quand on parle plus précisément du cœur de la Loi de Moïse, de ce qu’il a reçu au mont Sinaï, on parle des dix commandements ; ces commandements qui font partie des fondements de notre foi: « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu Le serviras Lui seul… Tu honoreras ton père et ta mère… Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage…» pour n’en citer que quelques-uns. Et le Seigneur dira à maintes reprises à son peuple au long de son histoire : si vous pratiquez toute cette Loi que Je vous donne, vous connaîtrez la plénitude… étant sous-entendu que si il n’en est pas ainsi nous risquons de rencontrer quelques petits problèmes dans nos chemins de vie !

Cela peut nous faire réfléchir d’emblée sur le rôle de la Loi dans toute société humaine ainsi que dans notre vie personnelle. Cette Loi est toujours nécessaire, qu’il s’agisse d’un groupe humain ou d’une seule personne. Et même si nous prétendons ne pas en avoir besoin, si nous voulons absolument en faire abstraction ; nous en suivrons toujours une…ne serait-ce que celle d’agir selon notre volonté propre ! Et l’expérience d’une telle « liberté » montre que, loin d’être libre, on devient captif de nos propres caprices, de nos passions, en bref, de notre orgueil…

La Loi, nous dit saint Paul, fait office de « pédagogue », elle n’est donc pas un but en soi, mais simplement un moyen. Elle vise à nous faire grandir et nous faire avancer vers un but ; c'est-à-dire vers Dieu qui nous apportera plénitude de vie et paix intérieure. Cette vie et cette paix intérieure ont une dimension infinie, puisqu’il s’agit pour l’homme d’accueillir la possibilité de devenir enfants de Dieu, cohéritiers du Christ, compagnons des Anges et des Saints ! A l’époque de l’Exil à Babylone, les Prophètes ont annoncé clairement à Israël une Nouvelle Alliance qui se substituerait à l’ancienne, gravement violée par les infidélités multiples du Peuple élu. C’est ainsi que nous pouvons lire dans le Livre d’ Ezéchiel (36) : « De toutes vos souillures et de toutes vos abominations Je vous purifierai, dit le Seigneur ; Je vous donnerai un cœur nouveau et Je vous inspirerai un esprit nouveau. J’enlèverai votre cœur de pierre et Je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon Esprit et Je ferai en sorte que vous suiviez mes préceptes et pratiquiez mes commandements. » Dans la traduction de la Septante, les termes traduisant « préceptes » et « commandements » ont des nuances plus précises : à savoir que l’Esprit du Seigneur donnera le discernement voulu pour accomplir ce qui est juste. Alors la Loi nouvelle, bien loin d’être une entrave pour la liberté humaine, sera au contraire, pour nous (si nous l’accueillons avec générosité), un dynamisme libérateur, vivifiant pour développer les dons et les aptitudes personnels que nous avons reçus par la grâce divine.

Mais comment est-ce possible pouvons-nous légitimement nous demander ?

C’est l’expérience qui le montrera au fil des siècles, et c’est précisément l’accomplissement de cette promesse de Dieu que les Apôtres expérimentent au jour de Pentecôte.
En recevant le don de l’Esprit Saint, ils sont habités par une assurance extraordinaire qui leur fait annoncer avec force le mystère du Christ mort et ressuscité pour le salut du monde. Le symbolisme du vent impétueux et des langues de feu qui se posent sur les Apôtres réunis dans la prière et l’attente du l’Esprit est bien clair : le temps de l’attente est passé, l’Esprit vient et Il envoie l’Eglise naissante en mission vers tous les peuples de la terre.

Afin de confirmer la véracité de sa prédication, l’Esprit Saint accordera à l’Eglise des dons variés qui ne cesseront plus, depuis les premiers siècles jusqu’à nos jours, et au-delà, jusqu’à la fin des temps. Il y a les charismes extraordinaires dont les écrits apostoliques sont les témoins, il y a aussi les dons moins voyants peut-être, mais non moins efficaces pour la construction de l’Eglise, ceux en particulier que saint Paul évoque dans l’épître aux Galates. Et s’il est évident que ces charismes extraordinaires existent encore, pour toucher les cœurs et leur faire reconnaître la miséricorde de Dieu à leur égard, il est non moins capital que le Seigneur nous rappelle toujours que l’amour, la joie et la paix à tous niveaux sont des dons indispensables dans la vie de toute communauté humaine ; à commencer par sa famille et sa communauté ecclésiale. N’oublions pas que l’homme ne parcourt pas le chemin du salut tout seul, mais en Eglise et que nous tous ; membres de l’Eglise ; nous recevons les richesses du salut, notamment par les sacrements, et y puisons une ardeur missionnaire qui se sait toujours en lien vital avec l’Eglise du Christ.

De nos jours il y a une importance urgente à faire grandir ce lien de communion à tous les niveaux de l’existence humaine : avant toute chose en nous-mêmes, puis entre les personnes : au sein de la famille et des communautés, entre groupes sociaux et entre les nations. Un lien qui ne soit pas que virtuel, mais un lien par lequel les personnes puissent se rencontrer et s’aimer en ce qu’elles ont de meilleur et de plus élevé spirituellement parlant. Rester au seul plan des réalités terrestres, sans y apporter le regard de la foi, serait stérile pour ceux qui veulent suivre le Christ. De nos jours en effet ; pour son salut ; le monde a plus que jamais besoin de témoins vivants de la Résurrection. Aussi est-il d’autant plus nécessaire et vital d’approfondir notre foi par une connaissance de Dieu et une expérience spirituelle toutes deux toujours plus renouvelées.

Nous faisons mémoire, dans l’Eucharistie que nous célébrons, du mystère pascal du Christ qui s’est fait le Médiateur entre Dieu et les hommes au prix de sa kénôse, de son anéantissement. Suspendu à la croix, au moment de mourir Il a remis son Esprit au Père pour nous en faire le don dès Sa Résurrection. Que cette fête de Pentecôte soit pour chacun de nous un jour de renouvellement de notre foi par les merveilles que Dieu veut accomplir en nous, par nous et autour de nous ; pour que soit glorifié Son Saint Nom parmi toutes les nations. Mais gardons toujours présent à l’esprit et dans le cœur que toute activité missionnaire tire sa fécondité de la prière personnelle et communautaire, faite en Eglise et dans la tradition apostolique.

Amen !
Epitre de la Liturgie ( Actes 2:1-11)



Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d'un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d'eux.
Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
Or, il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui eut lieu, la multitude accourut, et elle fut confondue parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue.
Ils étaient tous dans l'étonnement et la surprise, et ils se disaient les uns aux autres: Voici, ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens? Et comment les entendons-nous dans notre propre langue à chacun, dans notre langue maternelle? Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, l'Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l'Égypte, le territoire de la Libye voisine de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, comment les entendons-nous parler dans nos langues des merveilles de Dieu?

Méditation du Père Lev Gillet


Texte extrait du livre "L'an de grâce du Seigneur" du Père Lev Gillet ("Un moine de l'Eglise d'orient") aux éditions du Cerf


«Voici que nous célébrons la fête de la Pentecôte, la venue de l'Esprit, l' accomplissement de la promesse ainsi que de notre espérance ». C'est en ces termes que l'Eglise, aux vêpres de la Pentecôte, le samedi soir, nous invite à entrer dans l'atmosphère de cette très grande fête que nous célébrons le septième Dimanche après Pâques et qui n'est pas inférieure à Pâques elle-même.
Au cours de ces vêpres du samedi soir avant la Pentecôte, trois lectures de l'Ancien Testament nous préparent à la fête. La lecture du livre des Nombres nous montre Moïse choisissant, sur l'ordre de Dieu, soixante-dix anciens auxquels Dieu communiqua une part de l'esprit qu'il avait donné à Moïse. Ils se tenaient près du tabernacle, «quand l'Esprit reposa sur eux, ils prophétisèrent...». Et, quand Josué demanda à Moïse de réduire au silence deux hommes qui prophétisaient sans être venus vers le tabernacle, Moise répondit : «Serais-tu jaloux pour moi ? Ah , Puisse tout le peuple de Yahvé être prophète, Yahvé leur donnant son Esprit !». La lecture du prophète Joël prédit ce qui arriva lors de la première Pentecôte chrétienne : «Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions. Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit». La lecture du prophète Ezéchiel annonce elle aussi un renouvellement intérieur : «... Je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau; j'ôterai de votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai mon esprit en vous...».
Aux matines de la Pentecôte, chantées le samedi soir ou le Dimanche matin, nous lisons un des évangiles racontant les apparitions de Jésus ressuscité. Dans ce passage (]ean 20:19-31), nous voyons une première descente de l'Esprit sur les disciples : «... Il []ésus] souffla sur eux et leur dit : Recevez l'Esprit Saint...". Cette première venue de l'Esprit n'est pas moins réelle que celle du jour de la Pentecôte. La différence est que, le jour de la Pentecôte, l'Esprit descendit sur eux avec «puissance». Il y a la même différence entre la venue du Saint-Esprit sur un chrétien baptisé, au moment où il reçoit le sacrement de chrismation ou confirmation, et ce baptême de l'Esprit dont nous reparlerons et que certains chrétiens obtiennent à un stade avancé de la vie spirituelle.
A la liturgie, le Dimanche matin, nous lisons, au lieu d'épître, le récit des événements de la Pentecôte tels que les décrit le livre des Actes des Apôtres (2 :1-11). Certains aspects de ce récit appellent particulièrement notre attention.
«Le jour de la Pentecôte étant arrivé...». La Pentecôte est à la fois un achèvement et un début. Une voie nouvelle s'ouvrait devant les disciples, mais ils s'y étaient préparés. Nous ne pouvons pas entrer en quelque sorte dans la Pentecôte à l'improviste. Il nous faut d' abord avoir assimilé toute la substance spirituelle que nous offrent les cinquante jours compris entre Pâques et Pentecôte. Il nous faut déjà avoir eu l'expérience du Christ ressuscité. Il faut avoir traversé les jours de la Passion. Bref, il faut avoir mûri.

«Ils se trouvaient tous ensemble...». Quelques autres versets du livre des Actes nous dépeignent les Onze, assemblés «dans la chambre haute», avec Marie, mère de Jésus et les femmes. C'était l'Eglise naissante. Ils priaient tous ensemble. Nous trouvons là les conditions nécessaires à la réception du Saint-Esprit. Il nous faut, à certains moments, nous retirer du monde et nous enclore dans la chambre haute de notre âme. Là nous devons prier. Et nous devons nous unir à la prière et à la foi de toute l'Eglise. Nous devons être «ensemble» avec les apôtres et avec la mère de Jésus. Qui veut ignorer l' autortté des apôtres ou se passer de la présence maternelle de Marie ne peut recevoir le Saint-Esprit.
«Quand, tout à coup, vint du ciel un bruit comme celui d'un violent coup de vent... ». Le Saint-Esprit est un souffle, un vent. Ce qui importe pour nous, ce n'est pas de nous émerveiller devant la puissance de ce souffle, mais de nous soumettre entièrement à lui et de nous laisser «pousser» par l'Esprit comme Jésus aux jours de sa vie terrestre. Que ce souffle nous dirige où il veut. Rappelons-nous aussi que ce souffle est lui-même "dirigé". Il n'est pas une force indépendante et incohérente. Jésus a soufflé le Saint-Esprit sur ses disciples. Mais ce souffle procède d'abord de la bouche du Père. Il est une obéissance à Dieu. En obéissant aux impulsions de l'Esprit (le vent bruyant n'est qu'un symbole extérieur et rare, l'impulsion intérieure est la réalité), nous participons à l'obéissance de l'Esprit lui-même, procédant Pu père, envoyé par le Fils.
«Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu; elles se divisaient et il s'en posa une sur chacun d'eux». Le Saint-Esprit apparaît sous la forme de langues. La Pentecôte remédie à la dispersion et confusion des langues, produit de l'effort orgueilleux de la tour de Babel. Elle rétablit l'unité du langage humain. Les disciples seront compris par tous les étrangers venus à Jérusalem, Parthes, Mèdes et Cappadociens, et ceux-ci s'étonneront d'entendre comme dans leur propre langue les discours de ces Galiléens. Le langage de l'Esprit - du moins son sens intérieur - est aujourd'hui encore accessible à tous les hommes, à toutes les races, à toutes les nations; le même Esprit transmet un message universel, que chaque âme reconnait cependant comme le sien propre. D' autre part, encore de nos jours, celui en qui le Saint-Esprit agit devient capable, sinon de s' exprimer en langues étrangères, du moins de trouver la «langue» psychologique qui aura une résonance chez chacun et ouvrira son coeur. Le «dialogue» devient ainsi possible. Ce sont des langues de feu qui se posèrent sur les disciples. Ces langues impliquent une charité brûlante. La parole semble conditionnée par la flamme. Enfin les langues sont également distribuées. Elles ne sont pas le privilège de Pierre, ou de Marie, ou des Onze. Elles se posent sur tous ceux qui sont présents dans la chambre haute, et cependant ces langues enflammées sont un seul et même feu. Ainsi se trouve résolu dans l'Eglise le problème de l'unité et des personnes. Ni l'une ni les autres ne sont sacrifiées.
«Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint...». Cette soudaine et complète invasion de l' âme entière par le Saint-Esprit, accompagnée d'une force nouvelle, extraordinaire, constitue le «baptême du Saint-Esprit», différent à la fois du baptême d' eau et de l' onction par laquelle l'Eglise communique l'Esprit. Il y a là une réalité que nous avons trop perdue de vue, mais sur laquelle l'Ecriture insiste et vers laquelle notre attention devrait être rappelée .
«Et ils commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer...». Nous avons déjà indiqué l'importance de cette parole «donnée» par l'Esprit . Mais, d'une manière plus générale, ici se pose la question des grâces extraordinaires ou pentecostales, des charismes . Un danger serait de les désirer d' une manière désordonnée. Un autre danger serait de les négliger, de les oublier, de penser que ce sont là choses du passé, alors qu'ils ont été donnés - ou plutôt qu'ils sont donnés - à l'Eglise pour tous les temps.
L'évangile du dimanche de la Pentecôte (Jean 7:37-52, 8:12) relate les discussions entre Juifs relativement à la personne de Jésus. Seuls les trois premiers versets ont un rapport direct avec le Saint-Esprit : «Jésus debout, lança à pleine voix : si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive, celui qui croit en moi, selon le mot de l'Ecriture, de son sein couleront des fleuves d'eau vive. Il parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui; car ils n' avaient pas encore l'Esprit, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié». Le sens de ces paroles est clair. D'une part, l'effusion du Saint-Esprit est conditionnée par la foi en Jésus. D'autre part, le Saint Esprit sera donné quand la présence visible de Jésus aura été retirée de ce monde. Ce sont là les deux points fondamentaux de la doctrine des rapports du Fils et de l'Esprit dans la vie des chrétiens.
Aussitôt après la liturgie commencent des vêpres d'une structure spéciale. Au cours de cet office, la congrégation, agenouillée, chante d'une manière solennelle le tropaire «Roi du ciel, Consolateur, Esprit de vérité, toi qui es partout présent et qui remplis tout...». On sait que ce tropaire est dit au début de chaque liturgie et de la plupart des offices du rit byzantin; et il est, si nous ne faisons pas erreur, la seule prière adressée directement, dans ce rit, au Saint-Esprit. Cette prière, le matin du Dimanche de la Pentecôte, a une importance capitale : son chant est le moment où l'Eglise concentre toutes ses aspirations vers l'Esprit et implore sa venue; à ce moment, chaque fidèle agenouillé peut, s'il demande vraiment Celui qui est le «don» par excellence, recevoir dans son coeur un renouvellement de la grâce Pentecostale et la descente de la Colombe. La congrégation étant encore agenouillée, le prêtre lit sept longues prières; deux d'entre elles sont adressées à Dieu, sans distinction entre les trois personnes divines; deux sont adressées au Père et trois au Fils. Elles peuvent, au premier abord, sembler un peu diffuses; mais, si on les analyse attentivement, on reconnaitra en elles une somme de la doctrine orthodoxe. Elles récapitulent toute l'économie divine du salut; elles indiquent tout ce que Dieu a fait pour les hommes depuis la création et elles sollicitent les grâces dont nous avons besoin. Quoiqu' elles fassent certaines allusions au Saint-Esprit, elles marquent un glissement du mystère de l'Esprit au mystère de la Trinité. Une phrase de la cinquième de ces prières dit : «O toi, qui, le dernier et grand jour de notre salut, celui de la Pentecôte, nous as révélé le mystère de la Sainte Trinité, consubstantielle et éternelle...». Cet aspect «trinitaire» de la fête de la Pentecôte explique pourquoi ce Dimanche est souvent appelé, parmi les peuples orfllodoxes, «jour de la Trinité ». Il explique aussi pourquoi les Eglises de rit byzantin ont jugé bon de consacrer plus spécialement le lundi de la Pentecôte à la personne du Saint-Esprit : la liturgie et la plus grande part de l'office de la veille (sauf les sept prières dont nous avons parlé) sont répétées en ce lundi. A vrai dire, nommer, comme on le fait, le lundi de la Pentecôte «jour du Saint-Esprit» est une anomalie, car la vraie fête du Saint-Esprit est le dimanche de la Pentecôte, et il serait certainement souhaitable que, en ce Dimanche même, la piété des fidèles s'adresse très particulièrement à la troisième personne de la Trinité, dont l'existence et l'action demeurent si voilées à beaucoup d' entre nous. D' autre part, il est bon que le mystère de la Trinité soit aussi rappelé à notre attention. Ce serait une grande erreur que de considérer le dogme de la Trinité comme une spéculation abstraite, lointaine, sans rapport avec notre vie pratique. L'amour vivant et réciproque des trois Personnes divines est le fait éternel, le fait le plus grand, infiniment plus grand et important que tout ce qui nous concerne nous-mêmes. L'homme a été créé parce que les trois Personnes divines voulaient lui communiquer dans une certaine mesure leur propre vie intime. Déjà ici-bas, la vie de la grâce est une participation à cette vie de la Trinité. L'âme qui meurt unie à Dieu est appelée à entrer dans la circulation d' amour des trois Personnes. Les relations de celles-ci constituent le modèle suprême, quoiqu'infiniment transcendant, de ce que devraient être les relations entre les hommes. La Pentecôte, événement final de l'histoire de notre salut - puisque la dispensation du Saint-Esprit ne sera, en ce monde suivie d' aucune dispensation supérieure ou nouvelle - nous introduit au sein du mystère de la Trinité, océan d'où part et où aboutit le fleuve de l'amour divin qui emporte res hommes vers Dieu.
Afin de marquer que, à la Pentecôte, le cycle liturgique a atteint sa plénitude, l'Eglise orthodoxe appelle tous les Dimanches qui suivent «Dimanches après la Pentecôte». Elle continue même de les désigner ainsi jusqu'au premier Dimanche de la préparation au grand Carême. Il en résulte, à partir du début de l' année liturgique (1er septembre), un curieux dédoublement entre la série des dimanches, qui se rattachent d'une certaine manière à la Pentecôte, au temps de la plénitude, et les fêtes de NotreSeigneur (Avent, Noël, Epiphanie), temps d'attente, de naissance et de croissance. En fait, la piété des fidèles saura, au cours des cinq ou six premiers mois de l'année liturgique, mettre spirituellement les dimanches en rapport avec le mystère du Christ attendu, apparaissant et grandissant au milieu des hommes. Par contre, il est bon que, de la Pentecôte à la fin de l' année liturgique, nous sachions maintenir les dimanches dans le cadre du «temps après la Pentecôte» ou plutôt du «temps de la Pentecôte», lequel durera jusqu' au commencement de septembre. Nous célèbrerons ces dimanches dans l' esprit de la Pentecôte. Nous lirons, aux liturgies de ces Dimanches des épisodes évangéliques bien antérieurs à la Pentecôte; ils se rattachent à la vie terrestre de Jésus avant sa Passion et sa glorification. Mais nous les interprèterons en termes de l'Esprit, car c'est sous le souffle et par la puissance du Saint-Esprit que Jésus parlait et agissait.

Nous avons déjà souligné l'importance du thème de la lumière dans l' année liturgique byzantine : cette lumière divine apparaît avec la naissance du Christ; elle croît avec lui; elle triomphe sur les ténèbres la nuit de Pâques; à la Pentecôte, elle atteint le plein midi. La Pentecôte est "la flamme du midi". Mais à ce développement exprimé par l' année liturgique doit correspondre dans notre âme une croissance de la lumière intérieure. Les richesses et le symbolisme de l' année liturgique ne servent de rien si elles n'aident pas "la lumière intérieure" à guider notre vie.
Nous avons dit aussi que l' on pourrait discerner dans la vie spirituelle trois étapes comparables à trois conversions. La première conversion est la rencontre de l'âme avec Notre-Seigneur, suivi comme un Ami et comme utt Maître. La deuxième conversion est l' expérience personnelle du pardon et du salut, de la croix et de la résurrection. La troisième conversion est la venue du Saint-Esprit dans l' âme comme une flamme et une force. C' est elle qui établit l'homme dans une union durable avec Dieu. Noël ou l'Epiphanie, puis Pâques et enfin la Pentecôte correspondent à ces trois conversions. Hélas, il est probable que nous n'avons pas encore été transformés en flamme vive par les Pentecôtes déjà nombreuses auxquelles, chaque année, nous nous sommes liturgiquement associés. Du moins est-il bon que nous ne perdions jamais de vue quelles grâces, quelles possibilités chaque Pentecôte nous apporte.

Texte extrait du livre "L'an de grâce du Seigneur" du Père Lev Gillet ("Un moine de l'Eglise d'orient") aux éditions du Cerf

Tropaire
TU ES BÉNI Ô CHRIST NOTRE DIEU TOI QUI REMPLIS DE SAGESSE LES PÊCHEURS DU LAC LEUR ENVOYANT L’ESPRIT SAINT PAR EUX TU PRIS AU FILET L’UNIVERS GLOIRE À TOI Ô AMI DES HOMMES

Kondakion
LORSQU’IL DESCENDIT POUR CONFONDRE LES LANGUES, LE TRÈS-HAUT DISPERSA LES GENTILS ; LORSQU'IL PARTAGEA LES LANGUES DE FEU, IL NOUS A TOUS APPELÉS À L'UNITE. D'UNE SEULE VOIX LOUONS LE TRÈS SAINT-ESPRIT.

23 mai 2007

Dimanche des St Pères


Jean XVII, 1-13

1 Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel, et dit : Père, l'heure est venue ! Glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie,
2 selon que tu lui as donné pouvoir sur toute chair, afin qu'il accorde la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
4 Je t'ai glorifié sur la terre, j'ai achevé l'oeuvre que tu m'as donnée à faire.
5 Et maintenant toi, Père, glorifie-moi auprès de toi-même de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût.
6 J'ai fait connaître ton nom aux hommes que tu m'as donnés du milieu du monde. Ils étaient à toi, et tu me les as donnés ; et ils ont gardé ta parole.
7 Maintenant ils ont connu que tout ce que tu m'as donné vient de toi.
8 Car je leur ai donné les paroles que tu m'as données ; et ils les ont reçues, et ils ont vraiment connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m'as envoyé.
9 C'est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés, parce qu'ils sont à toi ;
10 et tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux.
11 Je ne suis plus dans le monde, et ils sont dans le monde, et je vais à toi. Père saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés, afin qu'ils soient un comme nous.
12 Lorsque j'étais avec eux dans le monde, je les gardais en ton nom. J'ai gardé ceux que tu m'as donnés, et aucun d'eux ne s'est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l'Écriture fût accomplie.
13 Et maintenant je vais à toi, et je dis ces choses dans le monde, afin qu'ils aient en eux ma joie parfaite.


Homélie prononcée par Père René le 16 juin 2002

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,

Ce Dimanche est consacré à la mémoire des 316 Pères du Premier Concile œcuménique de Nicée en 325. On peut s’étonner qu’entre les grandes solennités de la Fête de l’Ascension du Seigneur et de celle de la venue de l’Esprit Saint à la Pentecôte, l’Église ait placé la mémoire d’un événement qui parait relever davantage du cours de l’histoire événementielle que de la Révélation plénière de la foi. Il n’en est rien.

La convocation de Nicée, certes, fut un acte politique : le fait de l’empereur Constantin. L’Empire Romain, depuis la reconnaissance du Christianisme comme religion d’état, avait besoin d’une Église forte, unie et stable. Or précisément à cette époque, une hérésie, apparue à Alexandrie et suscitée par un prêtre nommé Arius, menaçait non seulement l’unité de l’Église, mais aussi par voie de conséquence celle de l’Empire. Le danger était réel. Un siècle encore après Nicée, les tribus goths du Danube acquises à l’arianisme, pénétraient en Europe, transmettant leur hérésie en Gaule, en Italie, en Espagne, jusqu’en Afrique du Nord et en Libye, faisant presque retour au point de départ de cette fausse doctrine.

Arius donnait une représentation simple et facilement acceptable de la Sainte Trinité. Pour Arius le Christ n’était qu’une créature humaine, non préexistante et secondairement unie au Père. Très tôt, l’hérésie fut condamnée par saint Alexandre, évêque d’Alexandrie.

Puis c’est au Concile de Nicée qu’il revint d’établir de façon claire et irréversible par son Symbole la véritable Personne du Christ, vrai Dieu de vrai Dieu, consubstantiel au Père et homme complet, engendré du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. À Nicée, un des plus ardents défenseurs de la foi orthodoxe était saint Athanase, diacre de saint Alexandre puis évêque, il défendra jusqu’à sa mort, cinquante ans plus tard, la foi de Nicée au prix de nombreuses épreuves dont cinq déportations. Saint Athanase et, avec lui, les Pères de Nicée reconnurent au Fils de Dieu, coéternel et consubstantiel au Père, toute la plénitude de la divinité .

S’il a revêtu notre humanité, c’était en vue de notre salut et plus encore de notre déification à venir : « Dieu s’est fait homme, dit saint Athanase, pour que l’homme devienne dieu. » Cette affirmation se trouve déjà chez saint Irénée. Elle ne devait cesser de se développer en Orient jusqu’à saint Grégoire Palamas et, bien entendu, dans la conscience de l’Église Orthodoxe et de ses fidèles jusqu’à nos jours.

Ainsi le rappel de la foi de Nicée trouve-t-il naturellement sa place après la Fête de l’Ascension du Christ. L’Ascension est l’accomplissement du mystère de notre salut. À l’Incarnation le Verbe se fait chair et l’homme devient le lieu de Dieu. À l’Ascension notre nature entre dans la Gloire de la Saint Trinité. Après s’être abaissé jusqu’à revêtir notre corps, Dieu nous élève jusque dans le sein de Sa propre divinité. Quand le Christ retourne auprès du Père que, comme Verbe de Dieu, Il n’a jamais quitté, Il emporte notre nature non seulement pour la sauver mais aussi pour la diviniser. C’est ainsi que la foi d’Athanase, la foi des Pères de Nicée, reprend l’affirmation de saint Paul : le Christ nous a ressuscités avec Lui et, avec Lui, Il nous fait déjà asseoir dans les Cieux auprès du Père.

Pour autant, l’œuvre des Pères de Nicée n’a été parachevée qu’au Concile suivant, celui de Constantinople, d’où l’appellation de notre Credo de Symbole de Nicée et de Constantinople. En effet, un autre hérésiarque, évêque cette fois, du nom de Macédonius, entreprenait à son tour de récuser la divinité du Saint Esprit. C’est grâce aux Pères cappadociens, à saint Grégoire le théologien, saint Grégoire de Nysse et surtout saint Basile le Grand, qu’a été éradiquée cette dernière hérésie. Saint Basile a établi la divinité de l’Esprit Saint et Sa consubstantialité au Père, même s’il ne l’a pas exprimé formellement. C’est depuis que nous proclamons que l’Esprit est Seigneur, qu’Il procède du Père et qu’Il est adoré et glorifié avec le Père et le Fils.

D’ailleurs les Apôtres, saisis par l’Esprit de la Pentecôte, à leur première réunion à Jérusalem, ont reconnu la primauté de l’inspiration du Saint Esprit en affirmant « L’Esprit Saint et nous... » Les Pères de Nicée et de Constantinople, parfaitement conscients d’agir sous l’action de l’Esprit ont proclamé de même : « L’Esprit saint et nous... » C’est par l’Esprit de la Pentecôte que depuis Nicée l’Église a dénoncé les hérésies qui menacent la vraie foi. Aussi la mémoire des Pères de Nicée et de Constantinople est-elle aussi rappelée ce jour-ci en signe précurseur de la Fête de la Pentecôte.

Aujourd’hui l’Église honore tous les Pères de Nicée, de Constantinople et de tous les conciles œcuméniques en leur dédiant la Prière sacerdotale que Jésus adressa à son Père, avant Sa Passion, pour l’unité de Ses disciples. Jésus prie pour les disciples et par eux pour tous ceux que le Père Lui donnera. Il demande au Père de les garder et de les sanctifier. La prière de Jésus pour les disciples présents et à venir repose sur la fidélité que tous auront à Son égard. Ces hommes sont choisis et tirés du monde par la grâce du Père. Ils appartiennent au Père, mais le Père les donne au Fils, pour recevoir Ses commandements et répandre Son œuvre dans le monde.

Parce qu’ils croient à la voix du Père, ils savent que Dieu a un seul envoyé Son Fils Jésus-Christ. Ils croient en la Parole du Fils et ils la gardent avec fidélité. Ils reconnaissent et croient que Jésus est l’envoyé du Père, sorti du sein du Père. Aussi c’est pour eux et pour ceux qui les suivront que Jésus prie, parce qu’en eux Jésus et le Père sont glorifiés. Jésus en appelle à la sainteté de Son Père pour que ses disciples soient conservés dans leur foi, qu’ils soient protégés du monde et qu’ils soient sanctifiés dans la vérité.
Enfin Jésus demande que Ses disciples soient un, comme Lui-même et Son Père sont un, dans la fidélité à son Nom.

L’Église étend cette prière aux Pères conciliaires qui ont glorifié le Christ et accompli leur vocation en toute fidélité. Il nous appartient à notre tour de rendre grâce aux Pères théophores de Nicée et de tous les Conciles œcuméniques qui nous ont transmis la vraie foi, jusqu’au prix du martyre. Nous tous qui avons été baptisés en Christ et qui constituons aujourd’hui l’Église du Christ, environnés que nous sommes d’une telle nuée de témoins, comme dit saint Paul, devons manifester avec la plus grande force notre foi. Ce témoignage est le trésor qui nous est confié de tout temps par l’Église dans l’Esprit et que nous avons à porter jusqu’à la plénitude des siècles pour le salut de tous les hommes dans le Royaume de Dieu.

Amen.
Père René