26 novembre 2004

Le Proto évangile de Jacques

I.1. Les histoires des douze tribus racontent qu'un homme fort riche, Joachim, apportait au Seigneur double offrande, se disant : " Le supplément sera pour tout le peuple et la part que je dois pour la remise de mes fautes ira au Seigneur, afin qu'il me soit propice. "
I.2. Vint le grand jour du Seigneur1, et les fils d'Israël apportaient leurs présents. Or Ruben se dresse devant lui et dit : " Tu n'as pas le droit de déposer le premier tes offrandes, puisque tu n'as pas eu de postérité en Israël. "
I.3. Joachim eut grand chagrin, et il s'en alla consulter les registres des douze tribus du peuple, se disant : " Je verrai bien dans leurs archives si je suis le seul à n'avoir pas engendré en Israël ! " Il chercha, et découvrit que tous les justes avaient suscité une postérité en Israël. Et il se souvint du patriarche Abraham ; sur ses vieux jours, le Seigneur Dieu lui avait donné un fils, Isaac.
I.4. Alors, accablé de tristesse, Joachim ne reparut pas devant sa femme, et il se rendit dans le désert ; il y planta sa tente et, quarante jours et quarante nuits, il jeûna2, se disant : " Je ne descendrai plus manger ni boire, avant que le Seigneur mon Dieu m'ait visité. La prière sera ma nourriture et ma boisson. "
II.1. Et sa femme Anne avait deux sujets de se lamenter et de se marteler la poitrine. " J'ai à pleurer, disait-elle, sur mon veuvage et sur ma stérilité ! "
II. 2. Vint le grand jour du Seigneur. Judith, sa servante, lui dit : " Jusqu'à quand te désespéreras-tu ? C'est aujourd'hui le grand jour du Seigneur. Tu n'as pas le droit de te livrer aux lamentations. Prends donc ce bandeau que m'a donné la maîtresse de l'atelier. Je ne puis m'en orner, car je ne suis qu'une servante, et il porte un insigne royal. "
II.3. Anne lui dit : " Arrière, toi ! Je n'en ferai rien, car le Seigneur m'a accablée d'humiliations. Et peut-être ce présent te vient-il d'un voleur et tu cherches à me faire complice de ta faute. " Et Judith la servante dit : " Quel mal dois-je te souhaiter encore, de rester sourde à ma voix ? Le Seigneur Dieu a clos ton sein et ne te donne point de fruit en Israël ! "
II.4. Alors Anne, malgré son désespoir, ôta ses habits de deuil, se lava la tête et revêtit la robe de ses noces. Et vers la neuvième heure3, elle descendit se promener dans son jardin. Elle vit un laurier et s'assit à son ombre. Après un moment de repos, elle invoqua le Maître : " Dieu de mes pères, dit-elle, bénis-moi, exauce ma prière, ainsi que tu as béni Sarah, notre mère, et lui as donné son fils Isaac. " III.1. Levant les yeux au ciel, elle aperçut un nid de passereaux dans le laurier. Aussitôt elle se remit à gémir : " Las, disait-elle, qui m'a engendrée et de quel sein suis-je sortie ? Je suis née, maudite devant les fils d'Israël. On m'a insultée, raillée et chassée du temple du Seigneur mon Dieu.
III.2. Las, à qui se compare mon sort ? Pas même aux oiseaux du ciel, car les oiseaux du ciel sont féconds devant ta face, Seigneur. Las, à qui se compare mon sort ? Pas même aux animaux stupides, car les animaux stupides sont eux aussi féconds devant toi, Seigneur. Las, à quoi se compare mon sort ? Non plus aux bêtes sauvages de la terre, car les bêtes sauvages de la terre sont fécondes devant ta face, Seigneur.
III.3. Las, à quoi se compare mon sort ? A ces eaux non plus, car ces eaux sont tantôt calmes tantôt bondissantes, et leurs poissons te bénissent, Seigneur. Las, à qui se compare mon sort ? Pas même à cette terre, car la terre produit des fruits en leur saison et te rend gloire, Seigneur. "
IV.1. Et voici qu'un ange du Seigneur parut, disant : " Anne, Anne, le Seigneur Dieu a entendu ta prière. Tu concevras, tu enfanteras et l'on parlera de ta postérité dans la terre entière. " Anne répondit : " Aussi vrai que vit le Seigneur Dieu, je ferai don de mon enfant, garçon ou fille, au Seigneur mon Dieu et il le servira tous les jours de sa vie. "
IV.2. Et voici, deux messagers survinrent, qui lui dirent : " Joachim, ton mari, arrive avec ses troupeaux. Un ange du Seigneur est descendu auprès de lui, disant : "Joachim, Joachim, le Seigneur Dieu a exaucé ta prière. Descends d'ici. Voici que Anne ta femme a conçu4 en son sein".
IV.3. Aussitôt Joachim est descendu, il a convoqué ses bergers, leur disant : " Apportez-moi ici dix agneaux sans tache ni défaut. Ces dix agneaux seront pour le Seigneur Dieu. Apportez-moi aussi douze veaux bien tendres et les douze veaux seront pour les prêtres et le Conseil des Anciens. Aussi cent chevreaux, et les cent chevreaux seront pour tout le peuple. "
IV. 4. Joachim arriva avec ses troupeaux. Anne l'attendait, aux portes de la ville5. Dès qu'elle le vit paraître avec ses bêtes, elle courut vers lui, se suspendit à son cou et s'écria : " Maintenant je sais que le Seigneur Dieu m'a comblée de bénédictions ! Voici : la veuve n'est plus veuve et la stérile a conçu6 ! " Et Joachim, ce premier jour, resta chez lui à se reposer.
V.1. Le lendemain, il apportait ses offrandes : " Si le Seigneur Dieu m'a été favorable, pensait-il, la lame d'or du prêtre me le révélera7. " Il présenta ses offrandes, et scruta la tiare du prêtre quand celui-ci monta à l'autel du Seigneur ; et il sut qu'il n'y avait pas de faute en lui. " Maintenant, dit-il, je sais que le Seigneur Dieu m'a fait grâce et m'a remis tous mes péchés. " Et il descendit du temple du Seigneur, justifié, et rentra chez lui.
V.2. Six mois environ s'écoulèrent ; le septième, Anne enfanta. " Qu'ai-je mis au monde ? " demanda-t-elle à la sage-femme. Et celle-ci répondit : " Une fille. " Et Anne dit : " Mon âme a été exaltée en ce jour ! " Et elle coucha l'enfant. Quand les jours furent accomplis, Anne se purifia, donna le sein à l'enfant8 et l'appela du nom de Marie.
VI.1. De jour en jour, l'enfant se fortifiait. Quand elle eut six mois, sa mère la mit par terre, pour voir si elle tenait debout. Or l'enfant fit sept pas, puis revint se blottir auprès de sa mère. Celle-ci la souleva, disant : " Aussi vrai que vit le Seigneur mon Dieu, tu ne marcheras pas sur cette terre, que je ne t'ai menée au temple du Seigneur. " Et elle apprêta un sanctuaire dans sa chambre et elle ne laissait jamais sa fille toucher à rien de profane ou d'impur. Et elle invita les filles des Hébreux, qui étaient sans tache, et celles-ci la divertissaient.
VI.2. Quand l'enfant eut un an, Joachim donna un grand festin où il convia les grands prêtres, les prêtres, les scribes, les Anciens et tout le peuple d'Israël. Il présenta l'enfant aux prêtres qui la bénirent : " Dieu de nos pères disaient-ils, bénis cette enfant, et donne-lui un nom illustre à jamais, dans toutes les générations. " Et tout le peuple s'écria : " Qu'il en soit ainsi ! Amen ! " Et ils la présentèrent aux grands-prêtres, et ceux-ci la bénirent, disant : " Dieu des hauteurs, abaisse ton regard sur cette petite fille et bénis-la d'une bénédiction suprême, qui surpasse toute bénédiction. "
VI.3. Et sa mère l'emporta dans le sanctuaire de sa chambre et elle lui donna le sein. Anne éleva un chant au Seigneur Dieu : " Je chanterai un cantique sacré au Seigneur mon Dieu, parce qu'il m'a visitée et m'a enlevé l'outrage de mes ennemis. Et le Seigneur mon Dieu m'a donné un fruit de sa justice, unique et considérable devant sa face. Qui annoncera aux fils de Ruben qu'Anne donne le sein ? Écoutez, écoutez, ô les douze tribus d'Israël : Anne donne le sein ! " Et elle reposa l'enfant dans le sanctuaire de sa chambre, sortit et servit ses hôtes. Quand le banquet fut achevé, ils descendirent joyeux et ils glorifièrent le Dieu d'Israël.
VII.1. Les mois se succédèrent : l'enfant atteignit deux ans. Joachim dit : " Menons-la au temple du Seigneur, pour accomplir la promesse que nous avons faite. Sinon le Maître s'irriterait contre nous et rejetterait notre offrande. " Mais Anne répondit : " Attendons sa troisième année, de peur qu'elle ne réclame son père ou sa mère. " Joachim opina : " Attendons. "
VII.2. L'enfant eut trois ans. Joachim dit : " Appelons les filles des Hébreux, celles qui sont sans tache. Que chacune prenne un flambeau et le tienne allumé : ainsi, Marie ne se retournera pas et son cœur ne sera pas retenu captif hors du temple du Seigneur. " L'ordre fut suivi, et elles montèrent au temple du Seigneur. Et le prêtre accueillit l'enfant et l'ayant embrassée, il la bénit et dit : " Le Seigneur Dieu a exalté ton nom parmi toutes les générations. En toi, au dernier des jours, le Seigneur manifestera la rédemption aux fils d'Israël. " VII.3. Et il la fit asseoir sur le troisième degré de l'autel. Et le Seigneur Dieu répandit sa grâce sur elle. Et ses pieds esquissèrent une danse et toute la maison d'Israël l'aima.
VIII.1. Ses parents descendirent, émerveillés, louant et glorifiant le Dieu souverain qui ne les avait pas dédaignés. Et Marie demeurait dans le temple du Seigneur, telle une colombe9, et elle recevait sa nourriture de la main d'un ange.
VIII. 2. Quand elle eut douze ans, les prêtres se consultèrent et dirent : " Voici que Marie a douze ans, dans le temple du Seigneur. Que ferons-nous d'elle, pour éviter qu'elle ne rende impur le sanctuaire du Seigneur notre Dieu ? " Et ils dirent au grand-prêtre : " Toi qui gardes l'autel du Seigneur, entre et prie au sujet de cette enfant. Ce que le Seigneur te dira, nous le ferons. "
VIII. 3. Et le prêtre revêtit l'habit aux douze clochettes10, pénétra dans le Saint des Saints et se mit en prière. Et voici qu'un ange du Seigneur apparut, disant : " Zacharie, Zacharie, sors et convoque les veufs du peuple. Qu'ils apportent chacun une baguette. Et celui à qui le Seigneur montrera un signe en fera sa femme. " Des hérauts s'égaillèrent dans tout le pays de Judée et la trompette du Seigneur retentit, et voici qu'ils accoururent tous.
IX.1. Joseph jeta sa hache et lui aussi alla se joindre à la troupe. Ils se rendirent ensemble chez le prêtre avec leurs baguettes. Le prêtre prit ces baguettes, pénétra dans le temple et pria. Sa prière achevée, il reprit les baguettes, sortit et les leur rendit. Aucune ne portait de signe. Or Joseph reçut la sienne le dernier. Et voici qu'une colombe s'envola de sa baguette et vint se percher sur sa tête. Alors le prêtre : " Joseph, Joseph, dit-il, tu es l'élu : c'est toi qui prendras en garde la vierge du Seigneur. "
IX.2. Mais Joseph protesta : " J'ai des fils, je suis un vieillard et elle est une toute jeune fille. Ne vais-je pas devenir la risée des fils d'Israël ? " " Joseph, répondit le prêtre, crains le Seigneur ton Dieu, et souviens-toi du sort que Dieu a réservé à Dathan, Abiron et Corê. La terre s'entrouvrit et les engloutit tous à la fois, parce qu'ils lui avaient résisté. Et maintenant, Joseph, crains de semblables fléaux sur ta maison ! "
IX. 3. Très ému, Joseph prit la jeune fille sous sa protection et lui dit : " Marie, le temple du Seigneur t'a confiée à moi. Maintenant je te laisse en ma maison. Car je pars construire mes bâtiments. Je reviendrai auprès de toi. Le Seigneur te gardera. "
X.1. Cependant, les prêtres s'étaient réunis et avaient décidé de faire tisser un voile pour le temple du Seigneur. Et le grand-prêtre dit : " Appelez-moi les jeunes filles de la tribu de David11, qui sont sans tache. " Ses serviteurs partirent, cherchèrent et en trouvèrent sept. Mais le prêtre se souvint que la jeune Marie était de la tribu de David et qu'elle était sans tache devant Dieu. Et les serviteurs partirent et l'amenèrent. 2. Et l'on fit entrer ces jeunes filles dans le temple du Seigneur. Et le prêtre leur dit : " Tirez au sort laquelle filera l'or, l'amiante, le lin, la soie, le bleu, l'écarlate et la pourpre véritable. " La pourpre véritable et l'écarlate échurent à Marie. Elle les prit et rentra chez elle. C'est à ce moment-là que Zacharie devint muet et que Samuel le remplaça jusqu'à ce qu'il eût retrouvé la parole. Et Marie saisit l'écarlate et se mit à filer.
XI.1. Or elle prit sa cruche et sortit pour puiser de l'eau. Alors une voix retentit : " Réjouis-toi, pleine de grâce. Le Seigneur est avec toi. Tu es bénie parmi les femmes." Marie regardait à droite et à gauche : d'où venait donc cette voix ? Pleine de frayeur, elle rentra chez elle, posa sa cruche, reprit la pourpre, s'assit sur sa chaise et se remit à filer.
XI.2. Et voici qu'un ange debout devant elle disait : " Ne crains pas, Marie, tu as trouvé grâce devant le Maître de toute chose. Tu concevras de son Verbe. "Ces paroles jetèrent Marie dans le désarroi. " Concevrai-je, moi, du Seigneur, dit-elle, du Dieu vivant, et enfanterai-je comme toute femme? "
XI.3. Et voici que l'ange, toujours devant elle, lui répondit : " Non, Marie. Car la puissance de Dieu te prendra sous son ombre.
Aussi le saint enfant qui naîtra sera-t-il appelé le fils du Très-Haut. Tu lui donneras le nom de Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés. " Et Marie dit alors : " Me voici devant lui sa servante ! Qu'il m'advienne selon ta parole. "
XII.1. Et elle reprit son travail de pourpre et d'écarlate puis l'apporta au prêtre. Et quand le prêtre le reçut, il la bénit et dit : " Marie, le Seigneur Dieu a exalté ton nom et tu seras bénie parmi toutes les générations de la terre. " XII.2. Pleine de joie, Marie se rendit chez sa parente Elisabeth et frappa à la porte. En l'entendant Elisabeth jeta l'écarlate, courut à la porte, ouvrit, et la bénit en ces termes : " Comment se fait-il que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? Car vois-tu, l'enfant a tressailli et t'a bénie. " Or Marie avait oublié les mystères dont avait parlé l'ange Gabriel12. Elle leva les yeux au ciel et dit : " Qui suis-je, pour que toutes les femmes de la terre me proclament bienheureuse? "
XII.3. Et elle demeura trois mois chez Elisabeth. Et de jour en jour son sein s'arrondissait. Inquiète, elle regagna sa maison et elle se cachait des fils d'Israël. Elle avait seize ans, quand s'accomplirent ces mystères13.
XIII.1. Son sixième mois arriva, et voici que Joseph revint des chantiers ; il entra dans la maison et s'aperçut qu'elle était enceinte. Et il se frappa le visage et se jeta à terre sur son sac et il pleura amèrement, disant : " Quel front lèverai-je devant le Seigneur Dieu ? Quelle prière lui adresserai-je ? Je l'ai reçue vierge du temple du Seigneur et je ne l'ai pas gardée. Qui m'a trahi ? Qui a commis ce crime sous mon toit ? Qui m'a ravi la vierge et l'a souillée? L'histoire d'Adam se répète-t-elle à mon sujet ? Car tandis qu'Adam faisait sa prière de louange, le serpent s'approcha et surprit Eve seule ; il la séduisit et la souilla. La même disgrâce me frappe. "
XIII.2. Et Joseph se releva de son sac et appela Marie : " Toi la choyée de Dieu, qu'as-tu fait là ? As-tu oublié le Seigneur ton Dieu ? Pourquoi t'es-tu déshonorée, toi qui as été élevée dans le Saint des Saints et as reçu nourriture de la main d'un ange?"
XIII.3. Et elle pleura amèrement, disant : " Je suis pure et je ne connais pas d'homme. " Et Joseph lui dit : " D'où vient le fruit de ton sein ? " Et elle répondit : " Aussi vrai que vit le Seigneur mon Dieu, j'ignore d'où il vient. "
XIV.1. Et Joseph, rempli de frayeur, se tint coi, et il se demandait ce qu'il devait faire d'elle. " Si je garde le secret sur sa faute, se disait-il, je contreviendrai à la loi du Seigneur. Mais si je la dénonce aux fils d'Israël, et que son enfant vienne d'un ange, ce dont j'ai bien peur, alors je livre à la peine capitale un sang innocent. Que ferai-je d'elle ? Je la répudierai en secret. " La nuit le surprit dans ces réflexions.
XIV.2. Et voici qu'un ange du Seigneur lui apparut en songe, disant : " Ne t'inquiète pas à propos de cette enfant. Ce qui est en elle vient de l'Esprit saint. Elle t'enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus. Car il sauvera son peuple de ses péchés. " Joseph se réveilla et glorifia le Dieu d'Israël qui lui avait donné sa grâce. Et il garda la jeune fille.
XV.1. Or le scribe Anne vint le voir et lui dit : " Joseph, pourquoi n'as-tu point paru à notre réunion? -Mon voyage m'avait fatigué, répondit-il, et j'ai passé le premier jour à me reposer. " Mais Anne se retourna et vit Marie enceinte.
XV.2. Et il partit en courant chez le prêtre et lui dit : " Eh bien, ce Joseph dont tu te portes garant, a commis une faute ignoble.-Quoi donc ? " demanda le grand-prêtre. L'autre reprit : " Il a déshonoré la jeune fille que le temple du Seigneur lui avait confiée et il l'a épousée secrètement, sans avertir les fils d'Israël ! " Et le grand-prêtre lui dit : " Joseph a-t-il fait cela ? " Et l'autre répondit : " Envoie tes gens et tu verras que la jeune fille est enceinte. " Des serviteurs partirent et la trouvèrent dans l'état qu'il avait dit. Ils la ramenèrent au temple et elle comparut au tribunal.
XV.3. Le grand-prêtre lui dit : " Marie, qu'as-tu fait là? Pourquoi as-tu perdu ton honneur ? As-tu oublié le Seigneur ton Dieu, toi qui fus élevée dans le Saint des Saints et qui reçus nourriture de la main des anges? Toi qui entendis leurs hymnes et dansas devant eux ? Qu'as-tu fait là ? " Et elle pleura amèrement et dit : " Aussi vrai que vit le Seigneur Dieu, je suis pure devant sa face et ne connais pas d'homme. "
XV.4. Et le grand-prêtre dit : " Et toi, Joseph, qu'as-tu fait? " Et Joseph répondit : " Aussi vrai que vit le Seigneur et que vivent son Christ et le témoin de sa vérité je suis pur vis-à-vis d'elle. " Le grand-prêtre insista.
" Ne rends pas de faux témoignage ! Dis la vérité ! Tu l'as épousée en cachette, tu n'as rien dit aux fils d'Israël et tu n'as pas incliné ta tête sous la puissante main qui eût béni ta postérité ! " Et Joseph garda le silence.
XVI.1. Le grand-prêtre reprit : " Rends-nous la jeune fille que tu avais reçue du temple du Seigneur. " Joseph fondit en larmes. Le grand-prêtre ajouta : " Je vous ferai boire l'eau de l'épreuve rituelle14 et votre faute éclatera à vos yeux. "
XVI.2. Le grand-prêtre prit de l'eau, en fit boire à Joseph puis il l'envoya au désert15, Or celui-ci revint indemne. Et il fit boire aussi la jeune fille et l'envoya au désert. Et elle redescendit, indemne. Et tout le peuple s'étonna que leur faute n'eût pas été manifestée.
XVI.3. Alors le grand-prêtre dit : " Puisque le Seigneur Dieu n'a pas révélé de péché en vous, moi non plus je ne vous condamne pas. " Et il les laissa partir. Et Joseph prit Marie et rentra chez lui, heureux et louant le Dieu d'Israël.
XVII.1. Il parut un édit du roi Auguste qui invitait tous les habitants de Bethléem en Judée, à se faire recenser. Et Joseph dit : " J'irai inscrire mes fils. Mais que faire avec cette enfant? Comment la recenser? Comme ma femme ? Je ne puis décemment. Comme ma fille ? Mais les fils d'Israël savent que je n'ai pas de fille. Qu'en ce jour donc, le Seigneur en décide à son gré. "
XVII.2. Et il sella son âne et la jucha dessus. Son fils tirait la bride et Samuel suivait. Et ils entamaient le troisième mille quand Joseph se retourna et la vit fort rembrunie. " L'enfant qu'elle porte, pensa-t-il, doit la faire souffrir. " Il se tourna une nouvelle fois et vit qu'elle riait. Il lui dit : " Marie, qu'as-tu donc? Je vois tour à tour joie et tristesse sur ton visage. " Et elle lui dit : " Joseph, deux peuples sont sous mes yeux16. L'un pleure et se frappe la poitrine, l'autre danse et fait la fête. "
XVII. 3. Ils étaient à mi-chemin17, quand Marie lui dit : " Joseph, aide-moi à descendre de l'âne. L'enfant, en moi, me presse et va naître. " Il lui fit mettre pied à terre et lui dit : " Où t'emmener? Où abriter ta pudeur? L'endroit est à découvert. "
XVIII.1. Mais il trouva là une grotte18, l'y conduisit et la confia à la garde de ses fils. Puis il partit chercher une sage-femme juive dans le pays de Bethléem. [Il en trouva une qui descendait de la montagne et il l'amena19.]
XVIII. 2. " Or moi20, Joseph, je me promenais et ne me promenais pas. Et je levai les yeux vers la voûte du ciel et je la vis immobile, et je regardai en l'air et je le vis figé d'étonnement. Et les oiseaux étaient arrêtés en plein vol.
Et j'abaissai mes yeux sur la terre et je vis une écuelle et des ouvriers étendus pour le repas, et leurs mains demeuraient dans l'écuelle. Et ceux qui mâchaient ne mâchaient pas et ceux qui prenaient de la nourriture ne la prenaient pas et ceux qui la portaient à la bouche ne l'y portaient pas. Toutes les faces et tous les yeux étaient levés vers les hauteurs.
XVIII. 3. Et je vis des moutons que l'on poussait, mais les moutons n'avançaient pas. Et le berger levait la main pour les frapper, et sa main restait en l'air. Et je portai mon regard sur le courant de la rivière et je vis des chevreaux qui effleuraient l'eau de leur museau, mais ne la buvaient pas. Soudain la vie reprit son cours.
XIX.1. Et je vis une femme qui descendait de la montagne et elle m'interpella : " Eh, l'homme, où vas-tu ? " Je répondis : " Je vais chercher une sage-femme juive. - Es-tu d'Israël ? me demanda-t-elle encore. - Oui ", lui dis-je. Elle reprit : " Et qui donc est en train d'accoucher dans la grotte ? " [Et Joseph dit à la sage-femme : " C'est Marie, ma fiancée ; mais elle a conçu de l'Esprit saint, après avoir été élevée dans le temple du Seigneur. "] Et je lui dis : " C'est ma fiancée. - Elle n'est donc pas ta femme ? " demanda-t-elle. Et je lui dis : " C'est Marie, celle qui a été élevée dans le temple du Seigneur. J'ai été désigné pour l'épouser, mais elle n'est pas ma femme, et elle a conçu du Saint-Esprit. " Et la sage-femme dit : " Est-ce la vérité ? " Joseph répondit : " Viens et vois. " Et elle partit avec lui.
XIX.2. et ils s'arrêtèrent à l'endroit de la grotte. Une obscure nuée enveloppait celle-ci. Et la sage-femme dit : " Mon âme a été exaltée aujourd'hui car mes yeux ont contemplé des merveilles : le salut est né pour Israël. " Aussitôt la nuée se retira de la grotte et une grande lumière resplendit à l'intérieur, que nos yeux ne pouvaient supporter. Et peu à peu cette lumière s'adoucit pour laisser apparaître un petit enfant. Et il vint prendre le sein de Marie sa mère. Et la sage-femme s'écria : " Qu'il est grand pour moi ce jour ! J'ai vu de mes yeux une chose inouïe. "
XIX.3. Et la sage-femme sortant de la grotte, rencontra Salomé et elle lui dit : " Salomé, Salomé, j'ai une étonnante nouvelle à t'annoncer : une vierge a enfanté, contre la loi de nature. " Et Salomé répondit : " Aussi vrai que vit le Seigneur mon Dieu, si je ne mets mon doigt et si je n'examine son corps, je ne croirai jamais que la vierge a enfanté. "
[Et elle s'approcha, et la disposa, et Salomé examina sa nature. Et elle s'écria qu'elle avait tenté le Dieu vivant : " Et voici, je perds ma main, brûlée par un feu. " Et elle pria le Seigneur et la sage-femme fut guérie dès cet instant. Or un ange du Seigneur se dressa devant Salomé, disant : " Ta prière a été exaucée devant le Seigneur Dieu. Approche-toi et touche le petit enfant, et pour toi aussi il sera le salut. " Salomé obéit et fut guérie selon qu'elle avait adoré, et elle sortit de la grotte. Et voici, un ange du Seigneur fit entendre une voix.]
XX.1. Et la sage-femme entra et dit : " Marie, prépare-toi car ce n'est pas un petit débat qui s'élève à ton sujet. " A ces mots, Marie se disposa. Et Salomé mit son doigt dans sa nature et poussant un cri, elle dit : " Malheur à mon impiété et à mon incrédulité ! disait-elle, j'ai tenté le Dieu vivant ! Et voici que ma main se défait, sous l'action d'un feu. "
XX.2. Et Salomé s'agenouilla devant le Maître, disant : " Dieu de mes pères, souviens-toi que je suis de la lignée d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Ne m'expose pas au mépris des fils d'Israël, mais rends-moi aux pauvres. Car tu sais, ô Maître, qu'en ton nom je les soignais, recevant de toi seul mon salaire. "
XX.3. Et voici qu'un ange du Seigneur parut, qui lui dit : " Salomé, Salomé, le Maître de toute chose a entendu ta prière. Étends ta main sur le petit enfant, prends-le. Il sera ton salut et ta joie. "
XX.4. Et Salomé, toute émue, s'approcha de l'enfant, le prit dans ses bras, disant : " Je l'adorerai. Il est né un roi à Israël et c'est lui. " Aussitôt Salomé fut guérie, et elle sortit de la grotte, justifiée. Et voici qu'une voix parla : " Salomé, Salomé, n'ébruite pas les merveilles que tu as contemplées, avant que l'enfant ne soit entré à Jérusalem21. "
XXI.1. Alors que Joseph se préparait à partir pour la Judée22, une vive agitation éclata à Bethléem de Judée. Les mages arrivèrent, disant : " Où est le roi des Juifs ? Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer. "
[Cette nouvelle alarma Hérode qui dépêcha des serviteurs, les convoqua et ils le renseignèrent sur l'étoile. Et voici, ils virent des astres en Orient et ils les guidaient jusqu'à leur arrivée dans la grotte et l'étoile s'arrêta au-dessus de la tête de l'enfant23.]
XXI.2. Cette nouvelle alarma Hérode qui dépêcha des serviteurs auprès des mages. Il convoqua aussi les grands prêtres et les interrogea au prétoire : " Qu'est-il écrit sur le Christ ? demanda-t-il. Où doit-il naître ? " Ils répondirent : " A Bethléem en Judée. Ainsi est-il écrit. " Et il les congédia. Puis il interrogea les mages, leur disant : " Quel signe avez-vous vu au sujet du roi nouveau-né ? " Et les mages répondirent : " Nous avons vu une étoile géante, parmi les autres constellations, si éblouissante qu'elle les éclipsait toutes. Ainsi avons-nous compris qu'un roi était né à Israël et nous sommes venus l'adorer. "Hérode leur dit : " Partez à sa recherche, et si vous le trouvez, faites-le moi savoir afin que moi aussi j'aille l'adorer. "
XXI.3. Les mages partirent. Et voici, l'astre qu'ils avaient vu en Orient les conduisit jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés à la grotte, et au-dessus de la tête de l'enfant, il s'arrêta24. Quand ils l'eurent vu là, avec Marie sa mère, les mages tirèrent des présents de leurs sacs, or, encens et myrrhe.
XXI.4. Mais comme l'ange les avait avertis de ne pas repasser par la Judée, ils rentrèrent chez eux par un autre chemin.
XXII.1. Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit en colère et envoya des tueurs avec mission de faire périr tous les enfants jusqu'à l'âge de deux ans.
XXII.2. Quand Marie apprit ce massacre, saisie d'effroi, elle prit l'enfant, l'emmaillota et le cacha dans une mangeoire à bétail.
XXII.3. Élisabeth, qui avait appris que l'on cherchait Jean, l'emporta et gagna la montagne, et elle regardait à la ronde où le dissimuler mais elle n'apercevait point de cachette. Alors elle se mit à gémir, disant : " Montagne de Dieu, accueille une mère et son enfant ! " Car la frayeur l'empêchait de monter. Aussitôt la montagne se fendit et la reçut en son sein, tout en laissant filtrer une clarté pour elle. Car un ange du Seigneur était avec eux et il les protégeait.
XXIII.1. Mais Hérode cherchait toujours Jean, et il envoya des serviteurs à l'autel, auprès de Zacharie, pour lui demander : " Où as-tu caché ton fils ? " Il répondit : " Je suis le serviteur de Dieu et je demeure attaché à son temple. Est-ce que je sais où est mon fils? "
XXIII.2. Les serviteurs repartirent et rapportèrent à Hérode ses propos. Celui-ci, furieux, s'écria : " Son fils va donc régner sur Israël ? " Et il renvoya ses serviteurs pour l'interroger encore : " Dis-moi la vérité. Où est ton fils ? Sais-tu que ma main a pouvoir de répandre ton sang? " Les serviteurs partirent et transmirent le message.
XXIII.3. Mais Zacharie lui fit répondre : " Je suis le martyr25 de Dieu. Dispose de mon sang ; mais mon esprit, le Maître le recevra, parce que c'est un sang innocent qu'à l'entrée du temple tu t'apprêtes à faire couler. "Et vers l'aube, Zacharie fut assassiné, et les fils d'Israël ignoraient tout de ce meurtre.
XXIV.1. A l'heure de la salutation, les prêtres partirent, et Zacharie ne vint pas, comme à l'accoutumée, au-devant d'eux, en prononçant les bénédictions. Les prêtres s'arrêtèrent, et attendirent Zacharie pour le saluer avec des prières et glorifier le Dieu très haut.
XXIV.2. Son retard cependant les plongea tous dans l'angoisse. L'un d'eux s'enhardit et entra dans le sanctuaire ; près de l'autel du Seigneur, il aperçut du sang figé. Et une voix retentit : " Zacharie a été assassiné. Son sang ne s'effacera pas avant que vienne le vengeur26 " Ces paroles le remplirent d'effroi. Il sortit et annonça aux prêtres ce qu'il avait vu et entendu.
XXIV.3. Résolument, ils entrèrent et constatèrent le drame. Et les lambris du temple gémirent et eux déchirèrent leurs vêtements du haut en bas. Ils n'avaient pas trouvé son cadavre, mais ils avaient vu son sang pétrifié. Ils sortirent effrayés et annoncèrent que Zacharie avait été assassiné.A cette nouvelle, toutes les tribus du peuple se lamentèrent et menèrent le deuil trois jours et trois nuits.
XXIV.4. Et après les trois jours, les prêtres délibérèrent pour savoir qui succéderait à Zacharie. Le sort tomba sur Syméon. C'était lui que le Saint-Esprit avait averti qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir contemplé le Christ dans la chair.
XXV.1. Et moi, Jacques, qui ai écrit cette histoire à Jérusalem, je résolus, lors des troubles qui éclatèrent à la mort d'Hérode, de me retirer au désert, jusqu'à ce que la paix fût revenue à Jérusalem. Et je glorifierai le Maître qui m'a donné la sagesse d'écrire cette histoire.
XXV.2. La grâce sera avec tous ceux qui craignent le Seigneur.Amen.
postamble();

25 novembre 2004

Les Pères et la Nativité

I - « Il a ressuscité l'homme déchu»

De saint Irénée de Lyon (IIe siècle) :
«C'est ainsi qu'il opérait glorieusement notre salut, qu'il accomplissait la promesse faite à nos pères et qu'il réparait l'antique désobéissance. Le Fils de Dieu devint donc fils de David et fils d'Abraham; car il a accompli la promesse, en récapitulant tout en lui pour nous rendre la vie. Le Verbe de Dieu s'est fait chair, grâce à la Vierge, afin de détruire la mort et de rendre la vie à l'homme. Car avant sa venue, nous étions dans les liens du péché, (...) »
(La prédication des apôtres et ses preuves, 37)

De saint Grégoire de Nazianze (IVe siècle) :
« Voilà la solennité que nous célébrons aujourd'hui: l'arrivée de Dieu chez les hommes, pour nous allions à Dieu ou plutôt -ce qui est plus exact-, pour que nous revenions à Lui; afin que, ayant dépouillé le vieil homme, nous revêtions le nouveau et, de même que nous sommes morts en Adam, ainsi nous vivions dans le Christ, nous naissions avec Lui, nous soyons crucifiés avec Lui, nous soyons ensevelis avec Lui, nous ressuscitions avec Lui. Car il me faut subir cette magnifique conversion ( . . .) »
(Extrait du Discours 38, prononcé le 25 décembre 380 à Constantinople)

De saint Ambroise de Milan (IVe siècle) :
« L'étoile est visible pour eux (les mages), mais invisible où est Hérode; où est le Christ, elle est de nouveau visible et leur montre la voie. Donc cette étoile est la voie; et la voie, c'est le Christ (Jn 14, 6) ; c'est que, dans le mystère de l'Incarnation, le Christ est l'étoile: car «.une étoile s'élèvera de Jacob, et un homme surgira d'Israël» (Nombr 24, 17). Aussi bien, où est le Christ, l'étoile est aussi; car Il est « l'étoile brillante du matin» (Apo 22, 16) ; c'est donc par sa propre clarté qu'il se signale.
(. ..) Par un chemin les mages sont venus, par U1l autre ils s'en retournent; car
après avoir vu le Christ, compris le Christ, ils repartent à coup sûr meilleurs qu'ils n'étaient venus. Il y a en fait deux voies, l'une qui mène à la mort, l'autre qui mène au Royaume; celle-là est celle des pécheurs, qui conduit à Hérode; celle-ci est le Christ, et par elle on retourne à la patrie: car ici-bas ce n'est qu'un exil passager, ainsi est écrit: «Mon âme a été longtemps exilée» (ps 119, 6). Gardons-nous donc d'Hérode, de celui qui détient pour un temps le pouvoir de ce monde, afin de conquérir une demeure éternelle dans la patrie céleste. »
(Traité sur l'Evangile de saint Luc, livre II, 45-46)
De saint Ephrem le Syrien (IVe siècle) :
« De fait, Marie donna naissance sans le concours d'un homme. De même qu'à l'origine, Eve est née d'Adam sans qu'il y ait eu rencontre charnelle, ainsi en est-il de Joseph et de Marie, la vierge son épouse. Eve mit au monde le meurtrier Caïn, Marie le Vivificateur. Celle-là mit au monde celui qui répandit le sang de son frère, celle-ci celui dont le sang fut répandu par ses frères. Celle-là vit celui qui tremblait et s'enfuyait à cause de la malédiction de la terre; celle-ci celui qui, ayant assumé la malédiction, la cloua sur la croix.
La conception de la vierge nous enseigne que celui qui, sans lien charnel, a mis au monde Adam en le faisant sortir de la terre vierge, a aussi formé sans lien charnel le second Adam dans le sein de la vierge. Le premier Adam était retourné dans le sein de sa mère; par ce second Adam, qui n'y retourna pas, celui qui était enseveli dans le sein de sa mère en fut retiré. »
(Commentaire de l'Evangile concordant ou Diatessaron) 2,2



II -La glorification de l'homme, la divinisation

De saint Athanase d'Alexandrie (IVe siècle) :
« Oui, le Verbe n'a pas été diminué en prenant un corps pour rechercher un don: il a plutôt divinisé ce qu'il a revêtu, et il a fait ce don de plus au genre humain. (...) Et la gloire du Père, c'est que l'homme né et perdu soit retrouvé, que mort, il soit vivifié et devienne Temple de Dieu. »
(Traités contre les ariens, I, 42)

De saint Hilaire de Poitiers (IVe siècle) :
« Car si Dieu est né dans l'homme, ce n'est pas pour cesser d'être Dieu, mais pour que, tout en demeurant Dieu, l'homme naisse en Dieu. En effet il s'appelle encore: «Emmanuel », ce qui signifie: «Dieu avec nous» : ainsi, il ne s'agit pas d'une évaporation de Dieu dans l'homme, mais d'une montée de l'homme en Dieu. En d'autres termes, lorsque le Christ demande à être glorifié, il ne vise pas le profit que pourrait en retirer sa nature divine, mais celui de l'humble nature qu'il a prise sur Lui: car il demande la gloire qu'il avait près de Dieu, avant la création du monde. » (Jn 17, 5).
(La Trinité, livre X, 7)

De saint Léon le Grand (Ve siècle) :
« Il est donc le même Fils de Dieu dans l'une ou l'autre nature, assumant ce qui nous appartient et ne se dessaisissant pas de ce qui lui est propre, renouvelant l'homme dans l'homme assumé, tout en demeurant en lui-même immuablement. ( . . .) « Le Verbe s'est fait chair» ne signifie pas que la nature de Dieu se soit changée en chair, mais bien que la chair ait été prise par le Verbe pour être assumée dans l'unité de la personne; et, par ce mot de chair, il faut comprendre tout l'homme auquel le Fils de Dieu s'est uni dans le sein de la Vierge, (...) ; il
s'est uni à l'homme si étroitement que lui, qui avait été engendré de l'essence du Père en dehors du temps, est né aussi dans le temps du sein de la Vierge. Nous n'aurions pu, en effet, être délivrés des liens de la mort éternelle si ne s'était fait humble dans notre condition, celui qui demeurait tout-puissant dans la sienne. »
(Vlle sermon pour Noël)


III - «Jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous» (Gal 4, 19)

De saint Grégoire de Nysse (IVe siècle) :
« Car l'enfant qui est né en nous, Jésus, croît différemment en sagesse, en âge et en grâce en ceux qui l'ont reçu. Il n'est pas le même en tous, mais se conforme à la mesure de celui en qui il vient. »
(3e homélie sur le Cantique des cantiques)

De saint Macaire le Grand (IVe siècle) :
«De même que Dieu a créé le ciel et la terre pour que l'homme y habite, ainsi a­t-il créé le corps et l'âme de l'homme pour qu'ils soient sa propre demeure, pour qu'il habite et repose dans le corps, comme dans sa propre maison, ayant pour épouse pleine de beauté l'âme bien-aimée, faite à son image (...) »
(Homélies spirituelles 49,4)

De saint Nicolas Cabasilas (XIV e siècle) :
« Le premier acte d'amour était que Dieu descendit sur la terre, le second qu'il nous en fit monter; le premier était qu'il se fit homme, le second que l'homme fût fait Dieu; (...) En effet, comme il ne nous était pas possible de mont&er pour partager sa condition, c'est lui qui est descendu vers nous pour avoir part à la nôtre; et il s'est uni si étroitement à ce qu'il a pris qu'au moyen de cela même qu'il nous a pris, c'est lui-même qu'il nous communique, (...)
Mais si ce qui fait les enfants, c'est d'avoir en commun la chair et le sang, il apparaît que nous recevons par la sainte Table une parenté plus étroite avec le Sauveur que par la nature avec nos propres parents. En outre, une fois qu'il nous a donné la vie et constitués, il ne nous a pas quittés comme eUx, mais il nous est toujours présent et uni, et c'est par sa présence même qu'il nous donne la vie et nous constitue. »
(La vie en Christ IV, 26 et IV, 46)

Textes liturgiques de la Nativité

Prime – Stichères, t.8

Bethléem, prépare-toi, que la crèche soit prête à servir et la grotte à recevoir le Seigneur! Voici venue la pure réalité, l'ombre de la loi s'est dissipée: naissant d'une Vierge, Dieu se montre aux humains, prenant notre forme et déifiant la nature assumée. Adam renouvelé avec Eve s'écrie: Sur terre est apparue la bienveillance de Dieu pour sauver le genre humain.

Kondakion

La Vierge en ce jour se prépare à enfanter en une grotte ineffablement le Verbe d'avant les siècles. Terre entière, à cette nouvelle chante et danse, glorifie avec les Anges et les Bergers celui qui a voulu devenir un enfant nouveau-né, le Dieu d'avant les siècles.

Vêpres – Lucernaire

Venez, réjouissons-nous dans le Seigneur en exposant le mystère de ce jour.
Le mur de séparation est renversé; le glaive flamboyant est déposé, les Chérubins ne gardent plus l'arbre de vie; et moi, je participe aux délices du Paradis dont la désobéissance m'avait exclu, car l'Icône immuable du Père divin, l'empreinte de son éternité, prend forme d'esclave en naissant d'une Mère vierge, sans subir de changement, et le Dieu véritable demeure ce qu'il était, assumant ce qui lui était étranger, l'humanité, par amour des hommes;
aussi chantons à notre Dieu: Toi qui es né de la Vierge, aie pitié de nous.
Naissant de la Vierge sainte, le Seigneur illumine l'univers; les Bergers passent la nuit dans les champs, les Mages se prosternent devant Dieu, les Anges le chantent dans les cieux, tandis qu'Hérode est troublé, car Dieu est apparu dans la chair comme Sauveur de nos âmes.

Matines - Ode 1

L'homme flétri à cause du péché, jadis image et ressemblance de Dieu, puis tout entier soumis à corruption et des trésors de vie divine déchu, le sage Créateur le façonne de nouveau, car il s'est couvert de gloire.Le Créateur, voyant perdu l'homme que ses mains ont façonné, descend en inclinant les cieux; né de la Vierge sainte, immaculée, il assume tout son être avec sa chair en vérité, car il s'est couvert de gloire.
Des entrailles sanctifiées clairement préfigurées par le buisson non consumé ont porté le Verbe Dieu uni à la nature des humains pour délivrer le sein d'Eve infortuné de l'antique malédiction; et nous les mortels, nous le glorifions.
Ô Verbe dont l'éclat précède le soleil et qui vins mettre fin au péché, l'étoile te montra aux Mages clairement dans une pauvre grotte, (...) IkosBethléem nous a ouvert l'Eden, venez et voyons les délices qu'en secret nous y trouvons; venez et cueillons à l'intérieur de la grotte les fruits du Paradis. C'est là qu'une racine est apparue qui, sans être arrosée, fit fleurir le pardon; c'est là que se trouve le puits non creusé auquel David désira boire jadis; c'est là que la Vierge, ayant mis au monde son enfant, étancha aussitôt la soif d'Adam et de David; aussi hâtons-nous vers ce lieu où vient au monde pour nous un enfant nouveau-né, le Dieu d'avant les siècles.


Tropaire

Ta naissance ô Christ, notre Dieu,a fait resplendir dans le monde la lumière de la connaissance. En elle les serviteurs des astres, enseignés par l'étoile, apprennent à T'adorer, Toi, Soleil de Justice,et à Te connaître, Orient d'en haut.Seigneur, gloire à Toi!

06 novembre 2004

La grotte

Toute la composition de l'icône converge vers le fond sombre de la grotte, dans lequel repose l'Enfant emmailloté de blanc, posé dans la crèche. La grotte n'est pas mentionnée dans les évangiles, mais elle intégrée dans composition canonique de l'icône par la Tradition.

L'antique tradition chrétienne s'appuie sur des témoignages anciens, remontant au IIème siècle; ainsi Léonide Ouspensky nous dit à ce sujet: « Les évangiles ne parlent pas de la grotte ; nous la connaissons par la Tradition. Les témoignages écrits les plus anciens à son sujet datent du IIème siècle: saint Justin le Philosophe dans son dialogue avec Tryphon (vers 155-160), en citant l'évangile selon saint Matthieu ajoute : « Comme Joseph ne trouva pas de place dans cette bourgade, il se réfugia dans une grotte, non loin de Bethléem. » (Le sens des icônes, Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky, Cerf, p. 144)

Selon le Père Georges Drobot, saint Justin voit dans ce fait l'accomplissement de la prophétie d'Isaïe: « Celui-là habitera dans les hauteurs, les roches escarpées seront son refuge, on lui donnera du pain, l'eau ne lui manquera pas. (Is 33, 16) (L’icône de la Nativité, Père Georges Drobot, Spiritualité orientale n° 15, p. 187). Dans la tradition byzantine et russe, c'est à partir de la fin du Vie siècle - et VIle siècle - que la grotte devient partie intégrante de la composition de l'icône de la Nativité.

Les représentations occidentales, (IVe et Ve siècle) représentent la crèche sous une sorte d'auvent, toiture légère posant sur deux colonnes. « Cela viendrait de ce que le mot latin « praesepe » pour « crèche» pouvait également signifier « étable », si l'on ne veut pas voir de nouveau une explication possible dans le texte du Pseudo-Matthieu. (Chapitre XIV) » (L’icône de la Nativité, Père Georges Drobot, Spiritualité orientale n° 15, p. 187 )


On trouve la description de cet auvent protégeant la mangeoire dans la Léqende Dorée et sur laquelle s'appuient la majeure partie des représentations occidentales de la Nativité. « Arrivés à Bethléem, parce qu'ils étaient pauvres, et parce que tous les autres venus pour le même motif occupaient les hôtelleries, ils ne trouvèrent aucun logement; ils se mirent donc sous un passage public, qui se trouvait, au dire de l'Histoire scholastique, entre deux maisons, ayant toiture, espèce de bazar sous lequel se réunissaient les citoyens soit pour converser, soit pour se voir, les jours de loisir, ou quand il faisait mauvais temps. Il se trouvait que Joseph y avait fait une crèche pour un bœuf et un âne, ou bien, d'après quelques auteurs, quand les gens de la campagne venaient au marché, c'était là qu'ils attachaient leurs bestiaux, et pour cette raison, on y avait établi une crèche. »( La Légende Dorée, Jacques de Voragine l, Garnier-Flammarion, 1967, pp 66-67)


LEGENDE DOREE: nom sous lequel on désigne le vaste recueil de Vies des saints composé au XVe siècle par le dominicain Jacques de Voragine.


La signification théologique, spirituelle de la grotte, telle que nous la voyons sur les icônes, est riche de sens. Le fond de la grotte est toujours peint en couleur sombre ou noire. Cette couleur évoque l'ombre du péché et de la mort qui régnait sur l'humanité. Ainsi la grotte est comme une préfiguration des entrailles de l'enfer, d'où jaillira le Christ ressuscité. Il y a un fort contraste visuel entre l'Enfant, emmailloté de blanc et le fond sombre duquel il se détache, toute la profondeur du Prologue de l'Évangile de Jean est là, centrée sur l'opposition entre la lumière et les ténèbres.La grotte est aussi le signe de la kénose de Dieu. En effet, Je Christ, assumant la condition de l'homme, S'E abaissé jusqu'à nous, jusqu'à devenir ce petit enfant fragile et dépendant, reposant dans la crèche. Plus tard descendra encore plus bas que la grotte, directement au plus profond des entrailles de la terre, pour y tirer Adam Ève de l'enfer et ressusciter.

KENOSE (grec) : «se vider, s'anéantir », a trouvé son sens chrétien dans l'Epître de saint Paul aux Philippiens (2, 11) : «Mais Il S'anéantit Lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, Il S'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix. » Ainsi Christ, en assumant la condition d'homme, S'est dépouillé volontairement de Ses prérogatives. Il S'est abaissé, S'est appauvri, mais - et c'est le grand mystère de la foi chrétienne - cela, Il l'a fait tout en restant Dieu. (Vocabulaire théologique orthodoxe, Catéchèse orthodoxe, Cerf, 1985)

Par ailleurs, le Christ, placé au creux de la grotte, peut sembler comme issu de la terre et nous rappeler par cette image le premier Adam qui fut créé à partir de la glaise. Ici le Christ enveloppé de langes blancs nous indique qu’il est, Lui, le second et nouvel Adam, le Christ ressuscité, qui prend notre condition humaine pour la sauver de la mort. Enfin, la grotte figure toujours au flanc d'une montagne escarpée, laquelle forme l'arrière-plan de toute l'icône.Cette montagne est à contempler d'une manière mystique, elle nous montre une préfiguration de la Mère de Dieu, qui est appelée « montagne ombragée ». Ainsi nous entendons dans la quatrième Ode du Canon des matines de Noël : « Un rameau est sorti de la racine de Jessé et sa fleur c'est Toi, ô Christ, qui T'épanouis de la Vierge. Toi qui viens de la montagne ombragée T'incarner d'une vierge, nous Te louons, Dieu immatériel : Gloire à ta puissance. Seigneur. » (voir également commentaire La Mère de Dieu) Ce texte liturgique est à mettre en référence avec le texte biblique tiré de Daniel : « De même, tu as vu une pierre se détacher de la montagne, sans que la main l’eût touchée, et réduire en poussière fer, bronze, terre cuite, argent et or. »(Dn 2, 45).

05 novembre 2004

Le bœuf et l'âne

(dans les icônes russes, l'âne, inconnu dans le Nord, se transforme en cheval)

Tout près de la crèche où repose l'Enfant se tiennent deux animaux : le bœuf et l'âne. On peut penser au premier abord qu'il est tout naturel de représenter les animaux domestiques près d'une crèche ou d'une mangeoire, comme on peut le voir très tôt dans les premières représentations paléochrétiennes. Mais pourquoi le bœuf et l'âne plutôt que des brebis ou des chèvres ? La présence des animaux n'est pas mentionnée dans les Évangiles. Cependant le bœuf et l'âne précisément sont représentés dans l'icône car ils indiquent l'accomplissement d'une prophétie, celle d'Isaïe signifiant que le Christ n'a pas été reconnu par les siens : « Le bœuf connaît son maître et l'âne la crèche de son seigneur, mais Israël ne sait pas, Mon peuple ne comprend pas. » (Is 1, 3) Ces deux animaux, par leur attitude humble et attentive reconnaissent le vrai Dieu.

Selon certains, la présence des animaux est en relation avec certains écrits apocryphes, spécialement issus du texte du Pseudo-Matthieu, XIV. Dans ce texte qui met l'accent sur l'adoration de l'Enfant par les bêtes il est dit : « Le troisième jour après la naissance de notre Seigneur Jésus-Christ, Marie sortit de la grotte et, entrant dans l'étable posa l'Enfant dans la crèche. Le bœuf et l'âne l'adorèrent. Alors s'accomplit la parole du prophète Isaïe disant: « Le bœuf connaît son possesseur, et l'âne la crèche de son maître» (Is 1, 3). Ces animaux se tenaient aux côtés de l'Enfant et l'adoraient sans cesse. Alors s'accomplit la parole du prophète Habaquq disant: « Tu seras reconnu entre deux animaux. »(Hab 3, 2) Texte cité par Père Georges Drobot, in « L'icône de la Nativité », Spiritualité orientale N" 15, p. 184) Dans l'antiquité, le bœuf fut le symbole du culte mithriaque. (de Mithra) alors que l'âne se rapporte au mal et à la luxure. Dans la représentation chrétienne de la Nativité, ces deux animaux symbolisent les anciens cultes païens vaincus par la venue du vrai Dieu.

Plus tard, au IVe siècle, les Pères de l'Église, comme Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze ou Ambroise de Milan apportent un éclairage plus complexe en interprétant la présence des animaux de la manière suivante : Ie bœuf est une allégorie du peuple juif ; c'est un animal de trait, le joug qui le lie étant celui de la loi judaïque. Quant à l'âne, il évoque le monde païen ; c'est une monture, portant le fardeau de l'idolâtrie. Ces deux animaux sont libérés de leur joug et de leur fardeau par le Fils de Dieu couché devant eux.

MITRA ou MITHRA Mitra était un dieu de type solaire vénéré en Inde et en Iran. Mithra est associé au Soleil, sur l’ordre duquel il va égorger un taureau. De cette mort rituelle va naître la vie. La fête de Mithra prend place au solstice d'hiver. Il a un culte public qui se déroule dans des grottes, avec baptême de sang, et qui prône la résurrection. Les adeptes de son culte pratiquent des mystères selon un système de douze grades. Son culte connaît un regain de ferveur à l'époque romaine.

04 novembre 2004

L'Enfant et la crèche

Au centre de l'icône, figure un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. C'est précisément le signe qui est donné par l'Ange aux bergers pour reconnaître le Sauveur: « Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche. » (Lc 2, 12) Cet enfant est Dieu lui-même incarné, comme l’indique le nimbe crucifère ainsi que les lettres indiquant « Jésus-Christ» : le Fils de Dieu devenu homme. Dans la croix du nimbe, on lit l'inscription formée par trois lettres grecques dont la traduction littérale est: « Je suis celui qui est.» Cette parole nous dit le nom de Dieu tel qu'il a été révélé à Moïse dans l'épisode du Buisson ardent (Exode 3, 14) Le nom signifie que Dieu est l'Alpha et l'Oméga, de qui tout provient et vers qui tout s'oriente, il est révélation de la Personne dans l'unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Cet Enfant est celui qu'on appelle « Emmanuel» signifiant« Dieu est avec nous» (Isaïe 7, 14) comme l'annonçait le prophète et qui est nommé Jésus dans l'Écriture, (Evangile selon saint Matthieu, au chapitre 1, 18-25).

L'Enfant est enveloppé de langes blancs qui évoquent la forme des bandelettes mortuaires, et il gît immobile dans la crèche. Selon l'Écriture, l'Enfant est déposé dans une « crèche »(Lc 2, 7), sorte d'auge ou de panier, prenant souvent la forme d'un sarcophage dans certaines icônes. Cette image se présente comme une préfiguration de la descente du Christ aux enfers et nous renvoie au Prologue de l'Évangile de Saint Jean : « Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas saisie. »(Jn 1, 4-5) « La polarité absolue que contient cette parole oblige à comprendre « ténèbres» dans son sens ultime, infernal, désignant tout le tragique du Dessein de Dieu à travers l'histoire. Vu du temps, c'est la plus angoissante co­existence de la Lumière et des ténèbres, de Dieu et de Satan... Vu de l'éternité, « le Soleil qui s'est couché avec Lui dissipe pour toujours les ténèbres de la mort... » (Paul Evdokimov,l'arl de l'icône, DOS 1970, P 233) Le Fils de Dieu au creux de la grotte a pris notre condition humaine, il est descendu du ciel jusqu'au creux de la terre, et plus tard jusqu'aux enfers pour ressusciter et pour notre résurrection. L'Enfant enveloppé de langes et déposé dans une crèche est le signe de l'abaissement de Dieu « invisible dans sa divinité, il devient visible à cause de l'homme ».

Il y a un contraste saisissant entre l'infinie majesté de Dieu, invisible et indescriptible, et la descente de Dieu dans les limites humaines d'un corps d'enfant emmailloté. Ce contraste est magnifiquement exprimé par Saint Grégoire Palamas: « C'est pourquoi le Dieu qui trône sur les chérubins Se présente sur la terre, aujourd'hui, comme un nourrisson. [...] Lui qui délimite toute chose, et n'est délimité par rien, est circonscrit par une crèche rudimentaire, et petite. Lui qui contient et étreint tout dans Sa main, est entouré de menus langes et serré par des nœuds ordinaires... » (Homélies de Grégoire Palamas, Ymca-Press/O.E.J.L, pp 39-51)

L'image de l'Enfant dans la crèche est interprétée par certains comme l'image prophétique de l'Eucharistie, l'enfant étant la manne, le «pain du ciel» couché sur une crèche plate ressemblant à une table, ce qui rappelle l'offertoire avant qu'II ne devienne l'Agneau eucharistique élevé sur l'autel. La crèche contenant l'Enfant est comme un asile dans le désert de la montagne, à l'image de la manne qui nourrit le peuple hébreu dans le désert. Une homélie de saint Grégoire de Nazianze nous indique ce sens : «Homme devenu irraisonnable, prosterne-toi devant la crèche par laquelle tu grandis en te nourrissant de la Raison» ( Hom. 38, sur la Nativité, P.G. 36, 316 B)

Dans cette interprétation, qui n'est pas partagée par tous, la crèche est vue comme l'image d'un autel chrétien ; alors que par ailleurs on interprète le plus souvent la crèche comme l'image du « sépulcre» qui recevra plus tard le Christ enseveli.

03 novembre 2004

La Mère de Dieu

La Mère de Dieu occupe le centre de l'icône et sa taille est nettement plus grande que celle des autres figures. Elle est étendue sur une litière et la position de son corps exprime la grande lassitude que toute femme peut éprouver après un accouchement. Allongée sur un matelas rouge, elle est enveloppée d'un grand manteau de couleur pourpre, orné de 3 croix : une au milieu du front et deux autres sur les épaules, symboles de la triple virginité de Marie. La couleur rouge du matelas évoque le sang, symbole de la vie. La couleur pourpre foncée du manteau (maphorion) renvoie quant à elle à la pourpre impériale, traditionnellement réservée aux empereurs. Elle exprime ici toute la majesté et la dignité de celle qui est devenu la Mère de Dieu.

Son visage serein est tourné vers les femmes qui procèdent au bain de l'Enfant, ou bien vers Joseph, tous situés dans le bas de l'icône. En fait son regard est tourné vers les hommes, accueillant ceux qui la regardent. Il est aussi perdu dans la contemplation du salut, comme il est dit dans l'Évangile de Luc: « Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur. » (Lc 2, 19)

Le plus souvent, elle tourne le dos à l'Enfant, attitude qui ne semble pas naturelle pour une femme venant de mettre un enfant au monde. Mais il s'agit ici d'une femme qui est la Mère de Dieu, de celle que l'Église nomme Théothokos. En effet l'Église voit en elle l'exemple le plus parfait de l'humanité, Dieu l'ayant pris pour mère lorsque la Vierge prononça le Fiat. Dieu a pu prendre chair en elle, et par son libre consentement, Marie est l'exemple suprême de coopération entre Dieu et la liberté de l'homme. La grandeur de sa taille dans l'icône insiste sur cet aspect.

Dans certaines icônes du XVe et XVIe siècle, généralement d'origine crétoise ou athonite, on voit la Mère de Dieu étendue sur un rocher plat à l'entrée de la grotte. Il faut y voir l'illustration de certains passages liturgiques comparant la Vierge à une montagne, en référence au passage biblique : « Tu regardais : soudain une pierre se détacha, sans que la main l'eût touchée, et vint frapper la statue, ses pieds de fer et d'argile, et les brisa. » (Daniel 2, 34). Parmi les louanges liturgiques à la Mère de Dieu attribuées à la Mère de Dieu, on trouve les titres de « Montagne non taillée, Montagne sainte et ombragée.. » Ainsi est décrite la Mère de Dieu dans l'Hymne Acathiste: « Réjouis-toi montagne inaccessible aux humaines pensées, réjouis-toi insondable océan même aux anges soustrait, réjouis-toi car du Roi tu deviens le trône et le palais, réjouis-toi, puisque ton Créateur par toi se fait porter. » (première stance, ikos 1).


MAPHORION (grec) : voile couvrant la tête et les épaules de la Vierge et des femmes saintes.

THÉOTOKOS (grec) : « Celle qui enfante Dieu ». L'Église orthodoxe voue à la Vierge Marie, qu'elle appelle Mère de Dieu, une profonde dévotion partagée par tous les fidèles. Porteuse du Christ « vrai Dieu et vrai homme », la Vierge Marie a été déclarée «Mère de Dieu» par le IIIè concile œcuménique d'Éphèse en 431. Devenue après l'incarnation, la mère du Logos incarné, la Mère de Dieu est inséparable de l'œuvre de son Fils.

FIAT (latin) : « Que cela advienne », réponse de Marie à l'archange Gabriel, lors de l'Annonciation.

02 novembre 2004

Sens général, contenu de l'icône

L'icône de la Nativité met l'accent sur deux réalités:

1/ l'incarnation réelle de Dieu, c'est-à-dire le témoignage visible du dogme de l'Incarnation.

L'incarnation réelle de Dieu souligne à la fois la divinité et l'humanité du Verbe incarné.
Les éléments de l'icône témoignant de l'humanité du Verbe sont: la grotte, la crèche, les langes, la Vierge allongée exprimant la lassitude d'une femme venant d'accoucher, le bain de l'Enfant.

La divinité de l'Enfant est signifiée dans l'icône par: les anges, l'étoile reliée au monde céleste, l'adoration des mages devant la Lumière véritable, la Mère de Dieu étant vierge avant, pendant et après l'enfantement, saint Joseph, qui, n'étant pas le père, signifie par sa présence que l'ordre de la nature est vaincu.


2) Les conséquences de cet événement sur le monde créé :

Il s'agit d'une rénovation du monde et non d'une création. Cette rénovation sanctifie l'univers entier. Toute la création, gisant sous l'emprise du mal et du péché, est rénovée, rendue au Créateur par l'Homme­Dieu. Tous les représentants de toutes les créatures apportent leur témoignage de gratitude, comme cela est si bien exprimé dans les stichères chantées lors des Vêpres de la Nativité: «Qu'allons-nous t'offrir, 6 Christ, puisque pour nous Tu es né sur la terre comme homme? Chacune des créatures qui sont ton œuvre rapporte, en effet, son témoignage de gratitude: les anges leur chant, les cieux l'étoile, les mages leurs dons, les bergers leur émerveillement, la terre, la grotte, le désert, la crèche; mais nous - une Mère Vierge...»



Le Christ est né, et par sa mort il délivre l'homme de ses chaînes et vainc le péché. Il y a une corrélation mystérieuse entre les icônes de la Nativité et celles de la Résurrection :

L'INCARNATION
LA NATURE HUMAINE EST SAUVÉE

LA RÉSURRECTION
LE PÉCHÉ EST VAINCU, LA MORT EST TERRASSÉE

L'INCARNATION
Naissance du Christ au cœur d'un monde de péché, apparition de la lumière au cœur des ténèbres, selon la parole d'Isale : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi [...] Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a- reçu-le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom :Conseiller merveilleux, Dieu fort, Père éternel; Prince­-de-paix. » (Is 9, 1-2 ; 5)


LA RÉSURRECTION
Descente du Christ aux Enfers pour y terrasser la mort.
Victoire de la lumière sur les ténèbres.





DESCRIPTION GÉNÉRALE DE L'ICÔNE

On peut distinguer trois plans divisés dans la hauteur de l'icône.

Le plan supérieur; où figurent les anges, l'étoile, les cieux, les mages est celui qui signifie la dimension épiphanique de l'événement.

L'espace central de l'icône montre Jésus reposant dans une crèche entre le bœuf et l'âne, dans le creux d'une grotte. Près de Lui est allongée sa Mère, sur un matelas rouge vif. Cet espace est centré sur le mystère de l'Incarnation.

Et enfin le plan inférieur, occupé principalement par saint Joseph, les bergers et leurs troupeaux, ainsi que les femmes donnant le bain à l'Enfant. Ce plan concerne plus spécialement la dimension humaine du mystère.

01 novembre 2004

Bref historique

Cette icône trouve sa forme définitive au IXe siècle. La représentation prototype de la Nativité figure sur les ampoules, contenant de l'huile, ramenées de Terre Sainte par les pèlerins, (Ve -VIe siècle.) «Eusèbe de Césarée raconte, dans son Histoire ecclésiastique, qu'au lieu même de la Nativité, saint Constantin avait fait construire une église, dont la crypte était formée par la grotte de Bethléem. C'est là qu'était représentée, selon les archéologues, avec toute l'exactitude historique possible, la scène de la Nativité, que répètent les ampoules et qui est à la base de notre iconographie de cette fête.» (Le sens des icônes, L. Ouspensky, cerf 2003, p.143)


Initialement, la Nativité était célébrée le 6 janvier, en même temps que la fête de la Théophanie (ou Épiphanie). En 324 la fête de la Nativité fut déplacée au 25 décembre dans l'Église de Rome pour remplacer une fête païenne célébrant le culte du soleil. Cette date correspond au solstice d'hiver, époque à partir de laquelle la durée de la lumière du jour se met à augmenter. Au plan symbolique, la fête placée à cette date signifie la croissance de la lumière, de la Lumière véritable qui est le Christ, et la victoire sur la nuit, les ténèbres. C'est aussi dans ce sens que l'Église a nommé Jésus Soleil de Justice, celui à qui revient la seule et vraie adoration. Le déplacement de cette fête au 25 décembre s'opère au IVe siècle à Antioche et à Constantinople.



Sources scripturaires

La naissance de Jésus : Évangile de Luc (2,1-21)
Les Mages : Évangile de Matthieu (2, 1-12)
Joseph : Récit apocryphe, Protévangile de Jacques



APOCRYPHE : sens littéral: «ce qui est tenu secret». Écrits des premiers siècles de notre ère, qui n'ont pas été retenus par l'Église pour différentes raisons, en particulier parce qu'ils ne sont pas l'œuvre des Apôtres ou de leur entourage immédiat.
Apocryphe signifie alors « textes non recueillis dans le canon des Écritures », par opposition aux textes canoniques du Nouveau Testament (les quatre Évangiles, Actes des Apôtres, Épîtres de saint Paul, Épîtres catholiques, Apocalypse.) .

SOLSTICE : Époque où le soleil atteint son plus grand éloignement angulaire du plan de l'équateur. Solstice d'hiver: jour le plus court de l'année. Solstice d'été: jour le plus long de l'année. La date de Noël, 25 décembre, est située au moment du solstice d'hiver, à partir duquel les jours rallongent, selon la position du soleil.

ÉPIPHANIE : (grec) «manifestation». Manifestation du Christ au monde: naissance de Jésus, visite des mages et Baptême. Au IVe siècle à Rome, seule la naissance de Jésus, l'Incarnation, fut fêtée le 25 décembre et l'Église d'Orient se rattacha à cette pratique à la fin du IVe siècle. L'Église d'Occident a gardé à l'Épiphanie son sens premier, c'est-à-dire la manifestation du Christ au monde: l'étoile et les rois mages, le baptême du Christ, les noces de Cana.

THÉOPHANIE : (grec) «manifestation de Dieu». Terme retenu par l'Église orthodoxe pour désigner la fête du 6 janvier, commémorant le Baptême du Seigneur. Cette fête célèbre ce jour-là le Dieu qui se manifeste pleinement comme Un en Trois Personnes, à l'exclusion de toutes les autres épiphanies (Naissance, Mages et Noces de Cana).Dans ce contexte, le mot Théophanie peut signifier: manifestation de la Trinité.